Maintenant que l'ancien maître de Bagdad est arrêté, il faut le juger. Où ? Comment ? C'est en fait le dilemme qui partage la communauté internationale, une fois passée l'euphorie et les réjouissances induites par l'arrestation de l'ex-dictateur. Juger Saddam Hussein, certes, mais, à l'évidence, c'était vite dit. Et d'aucuns, une fois entrés de plain-pied dans la réalité de la chose, de se rendre compte que finalement cela n'est pas aussi avéré qu'on veut bien le faire croire. Aussi, la controverse bat son plein et juristes internationaux et hommes politiques, à qui mieux-mieux, d'avancer ce que, selon eux, il conviendrait de faire dans le cas, à l'évidence incommode, de l'ancien maître de Bagdad. Déjà se dégagent deux postulats: Où le juger? Comment le juger? Des avis aussi qualifiés, les uns que l'autres, ont été donnés, des spécialistes judiciaires se sont exprimés, sans que cela apporte des réponses pertinentes aux attentes de la communauté internationale, d'une manière générale, des Irakiens singulièrement. De fait, les Irakiens, par la voix du Conseil transitoire de gouvernement, ont fait savoir, dès l'annonce officielle de l'arrestation de Saddam Hussein, que celui-ci devait être jugé en Irak. Il est vrai que c'est le peuple irakien qui a souffert en priorité du pouvoir sanguinaire du régime baâssiste, et il tient à juger lui-même son tortionnaire. Ainsi, le porte-parole du Conseil transitoire, Entifadh Qanbar affirme que Saddam Hussein bénéficiera «d'un procès équitable et juste», symbole, selon lui, «du nouvel Irak, un nouvel Irak démocratique où les dirigeants devront rendre compte de leurs actions». Certes, mais, comme le fait remarquer le procureur sud-africain, Richard Gold-stone, ancien procureur des tribunaux internationaux pour le Rwanda et l'ex-Yougoslavie, l'Irak dispose-telle de la logistique pour un tel procès? «Depuis plusieurs décennies il n'y a aucun système judiciaire crédible en Irak», indique Richard Goldstone, soulignant «Il n'y a pas d'avocats irakiens capables d'offrir à Saddam le conseil et le soutien dont il a besoin», affirmant d'autre part que «l'indépendance des juges risque également d'être sujette à caution». Toutefois, il estime que l'ex-dictateur irakien doit être jugé en Irak, par un panachage de juges locaux et internationaux, indiquant aussi que «les procès qui ont lieu à distance ne sont pas bons et sont moins efficaces en tant qu'instruments pour la réconciliation». Et dans l'Irak de l'après-Saddam Hussein, il est bien question de réconciliation. En fait, le procureur sud-africain, qui a fait l'expérience de procès difficiles, résume quelque peu l'opinion de ses confrères juristes, opinions qui restent nuancées par rapport à celles exprimées par les politiques. Ainsi, et en fait ce n'est pas une surprise, George W.Bush, a nettement dit où allait sa préférence dans un entretien accordé à la chaîne de télévision ABC, dans lequel, égal à lui-même, le président américain à déclaré: «Nous verrons quel châtiment il recevra. Mais je pense qu'il mérite de recevoir le châtiment suprême. Pour ce qu'il a fait endurer à son peuple. C'est un tortionnaire. Un assassin. Ils avaient des chambres où l'on violait. C'est un tyran dégoûtant qui mérite la justice, la justice ultime». Faut-il relever que M.Bush, détient toujours, en tant qu'ancien gouverneur de l'Etat du Texas, le record américain du nombre d'exécutions. Ce n'est donc pas surprenant que son penchant naturel s'exprime de la sorte. Beaucoup de chefs d'Etat ont une approche plus prudente, alors que son principal allié, le Premier ministre britannique, Tony Blair, s'est quant à lui clairement positionné contre la peine de mort, y compris pour un Saddam Hussein. Autre problème que soulève le futur procès de l'ancien président irakien: Comment le juger? L'opinion publique internationale réclame déjà un procès public. Ce à quoi, les Etats-Unis semblent dores et déjà réticents et, sans doute aussi, d'autres puissances, qui n'oublient pas qu'à une certaine époque, le régime baâssiste et Saddam Hussein, lui-même, étaient fréquentables, même si, ni l'un ni l'autre ne sentaient la rose. De fait, pour le juriste Emile Vianno «l'administration (américaine) s'efforce d'éviter un procès international où le risque est grand de voir comparaître des personnes susceptibles de décrire une collaboration passée entre Saddam et Washington dans les années 80». Personne, en effet, n'ignore que la guerre engagée par Saddam Hussein contre l'Iran, et qui dura huit ans, a été largement encouragée par l'administration américaine qui accorda une aide multiforme à l'Irak pour combattre le régime islamique iranien. Selon d'autres observateurs, «l'opposition de principe de l'administration Bush à des instances internationales, y compris la Cour pénale internationale (CPI) mise en place en 2002, s'explique aussi par la volonté américaine de faire exécuter Saddam Hussein. Les tribunaux internationaux n'ont pas autorité pour prononcer une condamnation à mort». Toutefois, le débat sur le devenir judiciaire de l'ancien président irakien ne fait que commencer, et gageons qu'une nouvelle fois les Arabes n'auront que peu à dire. Le silence des juristes arabes et des hommes politiques arabes est fort éloquent à ce propos.