L'universitaire survole un siècle tumultueux pour raconter l'épopée des footballeurs algériens de l'immigration. Peu connue, cette histoire n'est pas seulement sportive. Elle est politique, économique et sociale. Entre l'Algérie et la France, il y a l'histoire douloureuse de la colonisation, les relations politiques toujours passionnelles et compliquées et puis la trame dessinée au fil des décennies par des millions d'Algériens qui ont pris le chemin de l'exil, par choix ou par contrainte. Dans le lot des expatriés figurent des footballeurs que Stanislas Frenkiel, historien du sport et enseignant à l'université d'Artois en France, désigne comme "les travailleurs immigrés du sport". Dans un livre qui vient de paraître sous le titre Le football des immigrés : France-Algérie, l'histoire en partage, l'universitaire croise les trajectoires personnelles de générations de footballeurs professionnels ayant évolué en France, avec les bouleversements politiques, économiques et sociaux qui ont marqué leurs époques respectives et ont influé sur leurs carrières. De Ali Benouna, premier footballeur algérien qui a intégré le championnat français en 1930, à Djamel Belmadi, entraîneur des Fennecs et ancien joueur du Paris-Saint-Germain, en passant par Rachid Mekhloufi, Mustapha Dahleb, Zinedine Zidane et Karim Benzema, Stanislas Frenkiel raconte des histoires de ballon rond et la grande histoire France-Algérie. Il revient sur la période coloniale, sur l'utilisation du football par l'Algérie comme un symbole d'émancipation, puis sur son étatisation dans les années soixante-dix. Avec le recours aux binationaux, l'historien observe enfin à quel point le football algérien est aujourd'hui dépendant de la France à cause de l'échec des politiques de formation de footballeurs en Algérie. Elaboré sous la forme d'une enquête très fouillée, Le football des immigrés s'appuie sur de nombreux témoignages d'anciennes gloires du ballon rond et de leurs proches, recueillis en France et en Algérie. Dans une postface, l'ancien capitaine de l'équipe nationale de 1982, Ali Fergani, a qualifié le livre de "vibrant hommage à tous les joueurs algériens qui ont eu l'honneur de fouler les terrains français et d'y briller". Les premiers comme Ali Benouna avaient envisagé leur départ en France comme un moyen d'ascension professionnelle et sociale. Outre-Méditerranée, leur vie ne se passait pas trop mal en effet. "Loin des 300 000 franco-musulmans qui subissent presque quotidiennement les effets du délit de faciès légalisé par le préfet Maurice Papon, les footballeurs algériens forment une élite reconnue en France (...) Toutefois, la radicalisation du contexte algérien consécutif à la bataille d'Alger en 1957 puis au bombardement français du village tunisien de Sakiet Sidi Youssef, le 8 février 1958, rend leur situation de privilégiés plus difficile à assumer. L'émotion mondiale se soulève. Les discriminations écrites et orales que ces footballeurs subissent tout autant que leur engagement avec l'équipe du FLN rappellent la perméabilité des frontières entre sport et politique." Dès 1958, des footballeurs comme Rachid Mekhloufi et Abdelhamid Kermali (interviewé dans le livre) actent leur engagement pour l'indépendance et font le choix de rejoindre clandestinement Tunis pour former l'équipe du FLN. "C'est une équipe merveilleuse, beaucoup plus politique que sportive. Nous voulons incarner la révolution. Même si on est suspendus par la Fédération internationale de football en tant que fellagha, on fait des tournées dans les pays arabes et socialistes", a témoigné Kermali dans le livre. Après l'indépendance, les footballeurs qui avaient rejoint le FLN sont récompensés. Ils obtiennent un régime dérogatoire qui les valorise. Mais ce n'est pas le cas des jeunes qui font les frais de "l'étatisation du football algérien" et ne sont plus autorisés à jouer dans des clubs à l'étranger. "Dès l'indépendance, la nationalisation du football algérien est brutale. Après 1962, les clubs et les équipes nationales civiles et militaires sont strictement contrôlées par l'Etat et la FAF. Pour des raisons politiques et de prestige national, les migrations des footballeurs comme la sélection de professionnels sous le maillot algérien sont souvent empêchées", constate Stanislas Frenkiel dans son livre, en remarquant qu'au même moment, en France, une nouvelle génération de joueurs d'origine algérienne apparaît. Certains comme Mustpha Dahleb seront élevés au rang de vedettes du ballon rond et rejoindront l'équipe nationale algérienne de football. L'arrivée de certains d'entre eux chez les Fennecs est à mettre sur le compte de Nadir Bendrama, ancien joueur et directeur des sports de l'Amicale des Algériens en France. Celui-ci parcourt la France à la recherche de pépites qui seront envoyées en renfort en Algérie. Génération Dahleb En 1982, Dahleb et d'autres footballeurs qui évoluent en France disputent la Coupe du monde en Espagne. Lors de la suivante au Mexique en 1986, ils sont douze professionnels chez les Fennecs. Mais comme le rappelle Stanislas Frenkiel, la cohabitation entre eux et les locaux ne se passe pas sans accrocs. "À l'admiration pour ces footballeurs professionnels devenus indispensables sur le terrain se succède la jalousie. Les joueurs locaux ne veulent pas perdre leur place de titulaire. Ils les accusent de ne pas être de vrais Algériens. Quels que soient leurs paroxysmes, la présence de Mustapha Dahleb et d'Abdelghani Djaâdaoui, en tant que conseillers techniques de la sélection algérienne auprès du sélectionneur Rabah Saâdane, n'empêche pas les conflits", note l'historien, en précisant que "la débâcle mexicaine signe le ralentissement des flux migratoires – des footballeurs – d'une rive à l'autre de la Méditerranée". À la fin des années 80, la crise politique et économique qui s'empare de l'Algérie touche également le football. Durant la décennie suivante, le terrorisme ravage le pays. Hormis quelques exceptions, les footballeurs algériens ne parviennent pas à évoluer à l'international. "Lors de la décennie noire, il est plus difficile pour les recruteurs français de prospecter en sécurité en Algérie, d'y activer d'historiques filières migratoires fragilisées par l'isolement et éreintées par le terrorisme. Les négociations avec les clubs locaux et la FAF sont toujours complexes et entachées de malentendus", écrit Stanislas Frenkiel. En France, en revanche, de jeunes joueurs nés de parents algériens commencent à faire parler d'eux. Dans le groupe, figure Djamel Belmadi, actuel entraîneur des Verts. "Ils ne sont pas relégués socialement uniquement au pied des tours toisant la capitale comme Djamel Belmadi à Champigny-sur-Marne et Karim Fellahi à Saint-Denis. Du Havre à Forbach, de Rouen à Nîmes, ils vivent au sein de familles nombreuses et peu sportives... Avec leurs amis de quartier, tous sont témoins de la montée du chômage, du repli communautaire, des violences urbaines, de l'échec scolaire et de l'utilisation du sport par les pouvoirs publics comme outil de développement social dans les banlieues", souligne l'auteur de Football des immigrés. Le symbole de cette génération est incontestablement Zinedine Zidane qui a fait gagner à la France sa première Coupe du monde en 1998. Le 6 octobre 2001, il est aligné au stade de France face à l'équipe d'Algérie, pour un match amical qui sera interrompu à la 76e minute après l'envahissement de la pelouse par les supporters. Le comportement des supporters confirme, selon Stanislas Frenkiel, l'échec de l'intégration des jeunes issus de l'immigration algérienne en France. La reconversion professionnelle ratée de beaucoup de footballeurs montre aussi, selon lui, que la méritocratie par le sport ne profite pas à tout le monde "Comme leurs homologues africains, les techniciens algériens sont peu présents dans l'encadrement des sports d'élite européens. Ils doivent ravaler leurs peines, leurs déceptions et leurs angoisses (...) Depuis 1981, aucun ne se fait confier l'encadrement d'un club de première division. Pour les immigrés, c'est souvent la double peine, ignorés en France mais aussi en Algérie. Une fois les crampons raccrochés, leurs positions ne restent pas systématiquement ancrées dans l'espace sportif de haut niveau. Dans ce système pyramidal, les places valent de l'or", conclut l'universitaire. De Paris : Samia Lokmane-Khelil