Les Algériens célèbrent aujourd'hui le jour de l'indépendance dans un contexte particulier entouré d'incertitudes. Près de 60 ans après le recouvrement de la souveraineté nationale, l'idéal de Novembre reste à accomplir. L'Algérie célèbre aujourd'hui, le 5 juillet 1962, le jour de l'indépendance. Une étape historique qui continue, 59 ans après la signature des accords d'Evian par le défunt Krim Belkacem, d'irriguer la mémoire collective des Algériens et de forger encore dans les esprits la quête de la liberté dans toute sa dimension et toutes ses déclinaisons. Au bout de 7 années de guerre atroce, mais portées héroïquement par des Algériennes et des Algériens, dont le seul objectif était de se libérer du joug colonial, le jour de gloire était pour cette génération un rendez-vous avec le destin, forcément. Mais alors, près de 60 années après cette glorieuse séquence de notre Histoire, que signifie aujourd'hui cette date dans le contexte actuel ? Force est de constater que les Algériens traversent une période des plus difficiles, à plusieurs égards. Et le désenchantement, c'est le cas de le dire, semble avoir gagné des pans entiers de la société, la jeunesse payant le coût de la désillusion en premier. Non pas par détachement de l'Histoire, encore moins par manque d'égards aux héros libérateurs, mais plutôt par des désillusions accumulées liées essentiellement à la mal vie. Les jeunes générations l'ont d'ailleurs démontré de fort belle manière pendant plus de deux ans, depuis ce fameux 22 Février 2019. Loin de se tarir, cette reconnaissance a même été de nouveau irriguée par le fleuve du Hirak. Les manifestants pacifiques ont comme renouvelé leur contrat moral avec les chouhada, promenant chaque vendredi, chaque mardi, dans les rues algériennes, les portraits de ces quêteurs de liberté : Larbi Ben M'hidi, Hassiba Benbouali, Krim Belkacem, Abane Ramdane ou Ali Lapointe dont le nom a résonné dans les rues de la Casbah. "La jeunesse du Hirak est dans le continuum du mouvement national et de la guerre de libération nationale. Les portraits brandis dès le début du hirak et tout au long des marches renseignent sur ce lien très fort qui relie ces moments historiques", analyse, à ce propos, l'historien Amar Mohand Amer, ajoutant qu'il s'agit, finalement, d'une rencontre entre deux générations, avec un dénominateur commun : le "sacrifice". "C'est pour ces raisons que dans le Hirak, ces portraits sont restés comme si c'étaient des messages que la jeunesse du 22 Février 2019 envoyait à celle de Novembre 1954", dit-il encore. Dès lors, on ne peut plus aujourd'hui sermonner cette jeunesse et lui reprocher de méconnaître son Histoire, encore moins de s'être détournée de l'idéal de Novembre. Si le dépit des Algériens est là, perceptible, voire grandissant, il porte un nom : "système". Une espèce de fourre-tout, à première vue, mais qui contient, en fait, la somme de toutes les tares et les échecs accumulés depuis l'indépendance. Un système dont la marque de fabrique est une gouvernance désastreuse, approximative, des politiques socioéconomiques boîteuses qui ont largement atteint leurs limites, une justice défaillante, une corruption endémique, l'impunité, une architecture institutionnelle chancelante, des libertés sous surveillance, une pratique autoritaire du pouvoir... et la liste est loin d'être exhaustive. Signe des dérives cumulées : on n'hésite plus aujourd'hui à jeter en prison, sans distinction, jeunes, femmes, universitaires, avocats et militants de la démocratie. Il en est ainsi de l'Algérie ce 5 juillet 2021 : pour une opinion discordante, une parole à contre-courant des nouvelles normes (qui restent à définir et édicter), 304 Algériens croupissent aujourd'hui dans les geôles du "système". Plus que jamais, le moral des Algériens est au plus bas. La désillusion est totale. Elle est grandissante. Rien de plus édifiant que ces chaloupes qui se remplissent chaque jour un peu plus de tous ces candidats à la fuite, "la harga", en quête d'un bonheur qu'ils ne semblent pas trouver chez eux. Près de 60 ans après l'indépendance, l'Algérie n'est, assurément, pas celle dont ont rêvé celles et ceux qui ont payé un lourd tribut pour son indépendance. On aurait pu mieux faire...