Ce matériel de dernière génération nécessite une maintenance et un entretien coûteux pour le centre qui ne dispose pas de budget suffisant. Rien ne va plus au Centre de lutte contre le cancer Abdelghani-Mokhtari de Sétif, du moins pour le service de radiothérapie. En effet, cela fait plusieurs mois que la gestion des services dédiés à l'oncologie est devenue un véritable casse-tête chinois pour les responsables de la structure et une souffrance pour les patients et leurs parents ainsi que pour les médecins. Les professionnels de la santé et les associations d'aide aux malades atteints de cancer, qui ne peuvent rester passifs devant cette situation, sont plusieurs fois montés au créneau pour dénoncer ce fait accompli. Les pannes récurrentes des trois accélérateurs de radiothérapie sont devenues chroniques, avec des répercussions dramatiques sur le plan médical et le psychique des patients et de leurs parents au point que ces pannes ont créé une véritable crise. "Je suis patient et je n'ai pas à connaître les problèmes de gestion de cette structure. Je ne comprends pas pourquoi les responsables sont payés s'ils ne peuvent rien faire. Dans ce cas-là, c'est n'importe quelle personne qui peut être à la tête de la structure", nous dira Mohamed, un patient atteint d'un cancer du côlon. De son côté, le Dr Radji Aroua, président d'une association d'aide aux cancéreux, n'a pas mâché ses mots pour soutenir les propos de Mohamed : "Le patient ne doit pas connaître les problèmes de gestion, car ses maux, sa maladie et sa souffrance lui suffisent. On doit lui épargner ces problèmes liés aux pannes des accélérateurs et des rendez-vous reportés", dira le Dr Aroua. De son côté, Rabia, une patiente, au bord de la déprime, raconte sa souffrance avec les va-et-vient au centre. "C'est une situation qui dure depuis des mois. Je n'en peux plus ! Mes enfants sont seuls à la maison et je fais des allers-retours sans pour autant bénéficier des soins nécessaires. Cela fait douze jours que je suis à Sétif et je n'ai pas encore bénéficié de séances de radiothérapie. Je pense que la maladie n'attend pas et on doit faire vite s'il y a quelque chose à sauver. Au début, j'étais bien motivée car j'étais bien préparée, mais maintenant, je ne vous cache pas, je prie jour et nuit pour que...", dira-t-elle, les larmes aux yeux. Salem, un octogénaire de M'sila installé à la maison Dar Essabr, interpelle le président de la République pour lui demander de concrétiser ses promesses. "Le Président a toujours recommandé de faire de la prise en charge des cancéreux une priorité. Nous l'interpellons pour qu'il concrétise ses promesses et ainsi nous sauver la vie. Lorsqu'un accélérateur s'arrête, ce sont des vies qui s'arrêtent", dira-t-il. Et d'enchaîner : "Du 23 mai à aujourd'hui, je n'ai bénéficié que de 14 séances de radiothérapie, alors que les spécialistes ont préconisé, selon le protocole à suivre, pas moins de 38 séances. En plus de la maladie, je suis fatigué de ces va-et-vient et des escaliers." Le 30 juin, une réunion d'urgence a été tenue au CLCC de Sétif, regroupant l'administration, les professionnels de la santé et les associations d'aide aux malades atteints de cancer, pour s'enquérir de la situation qui prévaut au CLCC et proposer des solutions adéquates pour cette grave et récurrente crise. Il est à noter que, selon des sources bien informées, les trois accélérateurs de radiothérapie de dernière génération doivent aussi être soumis à une maintenance hyper-spécialisée et donc coûteuse, avec un contrat sérieux, un budget spécifique et des paiements réguliers des prestataires étrangers, comme le stipulait le Plan cancer présidentiel 2015-2019. Cependant, sur le terrain, la réalité est tout autre. Lesdits appareils souffrent de l'absence d'assistance technique régulière. Du coup, les patients subissent les conséquences médicales et psychologiques néfastes de cette situation influant directement sur la qualité de leur protocole thérapeutique. En dépit des reproches qui peuvent être faits aux gestionnaires du Centre de lutte contre le cancer de Sétif, qui, il faut le dire, ont hérité d'une situation chaotique au point que plusieurs enquêtes ont été ouvertes, la charge financière dépasse les capacités budgétaires du CLCC de Sétif. Sans le nerf de la guerre, les gestionnaires ont les mains liées et ne peuvent rien faire. Pour diminuer aussi bien la souffrance de ces patients que celle de leurs parents en mettant fin à ce sempiternel problème de maintenance et d'entretien des accélérateurs, les différents intervenants ainsi que les patients interpellent les hautes autorités de l'Etat pour intervenir, afin de dénouer ce problème qui perdure. "Nous demandons aux responsables au sommet de l'Etat de se pencher sérieusement sur cette chronicité douloureuse pour les malades, afin de leur permettre une survie honorable, par la seule solution, à savoir la consécration d'un budget adéquat pour une assistance technique des machines", dira le Pr Hamdi Chérif. Par ailleurs, pour pallier cette situation de façon transitoire en attendant que l'Etat apporte une solution radicale à ce problème, une plateforme mixte administrative et associative est mise en place pour permettre aux patients qui attendent depuis longtemps et qui ont leurs rendez-vous à Sétif d'être transférés en les accompagnant et en les prenant en charge, avec l'aide d'associations, dans d'autres centres, et ce, en étroite collaboration avec le service de radiothérapie de Sétif et la plateforme numérique nationale. 6 000 nouveaux cas, selon le réseau régional "En 2020, nous avons enregistré environ 6 000 nouveaux cas de cancer dans la région est et sud-est du pays, dont 2 000 nouveaux cas uniquement dans la wilaya de Sétif. Cela sans compter les anciens cas cumulés qui doivent être pris en charge par le service de radiothérapie du Centre régional de lutte contre le cancer (CLCC) de Sétif", a révélé à Liberté le Pr Hamdi Chérif Mokhtar, coordinateur du réseau régional Est et Sud Est des registres du cancer. Selon cet initiateur du premier registre du cancer en Algérie (Registre du cancer de Sétif, ndlr), les principales autres wilayas prises en charge par le CLCC de Sétif sont Béjaïa, Jijel, Bordj Bou-Arréridj, M'sila, Mila, et une minorité de patients recensés viennent de 30 wilayas du pays. Plus du tiers des femmes présentant un cancer du sein viennent de wilayas lointaines pour leurs séances de radiothérapie, se séparant ainsi de leurs familles et de leurs enfants parfois en bas âge. Fonctionnelle depuis début février dernier, la plateforme numérique, qui vise à améliorer la prise en charge des patients en réduisant les délais de rendez-vous et qui, dans un premier temps, concernera les malades atteints d'un cancer du sein, n'est pas encore évaluée. Dar Essabr, une structure qui soulage la souffrance des cancéreux Depuis le début de la pandémie, Dar Essabr (maison du patient), la première du genre au niveau national, sise à proximité du Centre de lutte contre le cancer, réalisée et gérée par des bénévoles de l'association Ennour d'aide aux cancéreux, où sont logés les patients atteints de cancer et leurs parents venus d'autres wilayas et communes pendant leur séjour pour des soins au Centre anti-cancer de Sétif, a continué d'héberger les patients, mais avec un protocole strict de prévention anti-Covid-19. Conscients de la vulnérabilité des malades atteints de cancer, les responsables de la maison ont toujours veillé à la stricte application du protocole. "Outre les mesures barrières édictées par le Comité scientifique de suivi de la pandémie de Covid-19, on a réduit le nombre des résidents pour passer de 150 à 100 patients en limitant le nombre de malades à seulement deux par chambre. Dieu merci, nous n'avons enregistré aucun cluster épidémique, qui était tant redouté. Il faut aussi souligner que l'ouverture, pendant la pandémie, de l'hospitalisation au niveau du service de radiothérapie du Centre de lutte contre le cancer de Sétif, qui prend en charge une trentaine de patients présentant une gravité médicale et nécessitant un suivi et une surveillance, nous a beaucoup soulagés", nous dira le Pr Chérif Hamdi, président de l'association Ennour et coordinateur du registre du cancer de la région Est et Sud-Est. Par ailleurs, notre interlocuteur a tenu à souligner que Dar Essabr n'a cessé de subir des développements structurels et stratégiques pour un confort et une meilleure qualité de vie. Outre la salle de sport, de jeux pour les enfants et l'atelier des activités pratiques, d'autres structures sont ouvertes. Pour augmenter les capacités d'hébergement, un pavillon pour les hommes a été construit. Pour améliorer l'écosystème environnemental et social du pôle santé d'El-Bez, en plus des jardins, une salle de prières, une cafétéria, une pizzeria et un stade polyvalent sont fonctionnels et très utiles pour la population. Tous ces projets viennent des idées et des demandes des patients. Nous avons d'autres projets, afin d'assurer une bonne prise en charge de nos patients qui se sentent très à l'aise lorsqu'ils sont dans leur deuxième maison. Un centre anti-cancer sans mammographe Il est connu que le Centre de lutte contre le cancer de Sétif inauguré en grande pompe, il y a presque dix ans, n'est, à ce jour, pas fonctionnel à 100%. Pis encore, il n'est même pas équipé des moyens les plus rudimentaires, par exemple un mammographe. Un appareil indispensable à ce service et qui suscite beaucoup d'interrogations quant à la gestion de ce centre depuis son ouverture. Les commissions d'enquête qui se sont succédé au niveau de la structure, n'ont pas révélé le secret inhérent à l'inexistence de cet appareil au niveau du centre de Sétif et dont les patientes sont pénalisées car elles sont souvent orientées soit vers le privé, soit vers les wilayas limitrophes. Les responsables du ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière doivent ouvrir de nouveau ce dossier et faire toute la lumière sur ce problème.