En attendant le retour des familles sinistrées chez elles et le long travail de reconstruction qui attend plusieurs villages complètement ravagés par les incendies, la chaîne de solidarité citoyenne se renforce et apporte un peu de réconfort aux victimes de cette tragédie. À l'entrée du village d'Afensou, à Larbâa Nath Irathen, l'école primaire grouille de monde en cette matinée de lundi caniculaire. Il s'agit visiblement d'un des premiers et rares foyers de vie reconstitués au milieu du tableau noir qui s'est substitué aux verdoyantes collines des Ath Irathen, où la vie semble s'être éteinte depuis les incendies ravageurs de la semaine dernière. Depuis cette école qui ne paye pas de mine, les habitants se mobilisent quotidiennement pour venir en aide aux villages sinistrés et, surtout, pour recréer une vie même sous les cendres. Dès l'entrée de Larbâa Nath Irathen que nous atteignons au milieu d'un paysage fait de cendres, de désolation et de détresse humaine, nous parcourons à peine deux kilomètres et nous voici dans la cour de cette école du village devenue, solidarité oblige, un grenier au service des populations sinistrées dans plusieurs localités de la wilaya. Au seuil d'une classe transformée en magasin de stockage, Mebarek veille au grain. "Lui, c'est le président du comité de village d'Afensou. Il recense tout ce qui entre au magasin et tout ce qui en sort. Ici, rien ne peut être gaspillé, rien ne peut être détourné", explique un jeune venu nous accueillir. À l'intérieur de cette classe du rez-de-chaussée, qui fait office de magasin, des tonnes de denrées alimentaires sont stockées grâce à l'élan de solidarité nationale qui s'est mis en place d'instinct dès le deuxième jour du début des incendies meurtriers qui ont emporté des dizaines de vies humaines et n'ont pas laissé une seule poche de verdure dans toute la région. "Grâce aux habitants, aux amis du village et aux bienfaiteurs qui arrivent des quatre coins du pays, nous disposons d'énormes quantités de denrées. Il y a de tout et nous venons au secours de tous. Nous nous assurons juste au préalable que nos aides vont aux véritables sinistrés", assure Mebarek. "Ici tout est géré dans la transparence. Nous diffusons des vidéos en direct sur les réseaux sociaux à chaque arrivée de dons et à chaque sortie d'aide, pour permettre à tout le village et à toute la région de suivre de près ce que nous faisons dans cette école", explique Karim Mezouane, un bénévole du village qui s'occupe essentiellement du volet communication. En face, dans une autre aile de l'école, une salle est réservée au stockage du linge et autres effets vestimentaires. Au milieu de la cour, plusieurs véhicules appartenant à des habitants du village attendent la prochaine ronde pour se rendre au chevet des sinistrés. Petit-déjeuner et repas chauds pour les sinistrés En gilets fluorescents, verts pour les uns et orange pour les autres, plusieurs dizaines de volontaires s'affairent, dans un interminable va-et-vient, comme des soldats et avec une remarquable discipline, aux tâches qui leur ont été confiées. Ce sont quasiment tous les jeunes du village qui mettent la main à la pâte pour mener à bien cette œuvre de solidarité sans précédent. Mais c'est surtout dans la cantine scolaire que l'effervescence semble encore plus intense. Autour des fourneaux, tous ceux du village, cuisiniers de profession, se sont spontanément rassemblés pour contribuer à cette mission humanitaire qui consiste à assurer quotidiennement des repas chauds aux personnes qui se sont retrouvées, du jour au lendemain, sans domicile, sans électricité, sans gaz ni eau pour pouvoir se nourrir. "Au début, dans l'urgence, on se contentait d'acheminer des repas froids et autres denrées et effets, mais maintenant, nous avons affiné notre organisation et grâce à la mobilisation du village, et particulièrement des cuisiniers du village, nous assurons désormais des repas chauds", nous explique Karim Mezouane. "Nous sommes là depuis cinq jours. Nous préparons les repas de midi et du soir. Nous ne pouvions rester insensibles à la détresse et au drame qui vient de frapper nos frères des villages de la région", lance un jeune cuisinier, la silhouette à peine visible derrière le rideau de vapeurs que dégageaient les fourneaux de la cuisine de l'école. À l'entrée du réfectoire, une impressionnante quantité de sacs contenant des pommes de terre, côtoient d'autres légumes et fruits frais. "C'est un don d'une association de Tazmalt", nous apprend un des volontaires. Il est 11h, et une autre brigade de volontaires entre en action : certains déposent plusieurs centaines de barquettes sur les tables et d'autres les remplissent au fur et à mesure. Ikhlidjen, Agoulmim, Ath Ali, Imathouken, Ath Mraou, Icheridhen sont,entre autres villages de la région dont les habitants sont désormais pris en charge grâce à cette initiative du village d'Afensou. "Des repas et des aides sont acheminés jusqu'aux lointains villages de Beni Douala et d'Aïn El-Hammam", affirme un volontaire, dont les mains agiles empilent et chargent les barquettes dans l'un des véhicules mobilisés, en vue de leur distribution aux sinistrés. "La même opération sera rééditée le soir", explique notre interlocuteur, qui ajoutant qu'à chaque déplacement dans ces villages, les volontaires recensent leurs besoins qui sont pris en charge dans les heures suivantes. Des dizaines de véhicules empruntent ainsi quotidiennement, et même plusieurs fois par jour, les routes recouvertes de cendres, au milieu de paysages fantomatiques pour tenter d'apporter un peu de vie aux habitants encore désemparés. "Nous allons poursuivre cette action jusqu'au rétablissement total du gaz et de l'électricité dans la région", dit Saïd, un autre volontaire, fier d'appartenir à ce village qui a été lui-même touché de plein fouet par les incendies et qui, n'était la grande mobilisation de la population, a failli être réduit en cendres. Une fois le danger éloigné, les habitants se sont immédiatement mobilisés pour venir en aide aux villages qui n'ont pas eu la chance d'être épargnés. L'exemple de ce village modèle a, à vrai dire, servi d'exemple à d'autres qui ont lancé des initiatives du même genre pour pallier le vide laissé par les pouvoirs publics. C'est le cas du collectif du village d'Aït Halli, dans la commune voisine, à Irdjen, qui, même sans recevoir de dons importants, s'est lancé, grâce à la contribution de volontaires, dans la distribution sporadique de repas chauds au profit des sinistrés. Un autre exemple est venu d'un groupe de jeunes de la localité d'Ihesnaouene, dans la commune de Tizi Ouzou qui, depuis plusieurs jours déjà, se sont mobilisés, grâce à leurs propres moyens, pour préparer des repas chauds avant de sillonner plusieurs localités quotidiennement pour les distribuer aux familles directement ou indirectement affectées par ces incendies criminels qui ont endeuillé toute la wilaya de Tizi Ouzou et face auxquels l'Etat a montré ses limites.