Par :Abdelaziz Grine Juriste, auteur et consultant en droit du travail Dans la religion musulmane, il n'est prescrit ni par le Coran ni par la Sunna que le vendredi, ou d'ailleurs un autre jour, soit destiné au repos. Il est seulement commandé aux fidèles de cesser toute occupation, sans que cette cessation soit dommageable pour autrui, le temps de participer aux cérémonies religieuses de ce jour, se situant opportunément à la mi-journée." La législation nationale du travail garantit au travailleur une journée entière de repos par semaine ; celle-ci est fixée au vendredi dans les conditions normales de travail. Ainsi, applicable et obligatoire pour l'ensemble des travailleurs, le repos hebdomadaire fait partie de leurs droits fondamentaux ; la semaine de travail ne doit pas dépasser 6 jours et doit contenir un temps de repos hebdomadaire d'une durée minimale de 24 heures. Le vendredi n'a pas toujours été la journée du repos hebdomadaire des travailleurs ; en effet, à l'indépendance, la législation nationale a reconduit les dispositions de la loi française qui fixait cette journée au dimanche, et ce, jusqu'à l'année 1976 où, à l'instar notamment de l'Arabie saoudite, de la Libye et du Soudan, le repos hebdomadaire est passé au jeudi-vendredi, comme en disposait l'ordonnance 76-77 du 11 août 1976. Celle-ci avait pris effet le vendredi 1er ramadan 1396, correspondant au 27 août 1976. Un vendredi et le premier jour du mois sacré de Ramadan suffisent amplement pour comprendre les motivations de cette décision. Par ailleurs, et des années plus tard, le décret exécutif n°97-59 du 9 mars 1997, complété par le décret exécutif n°07-226 du 24 juillet 2007, a déterminé l'aménagement et la répartition des horaires de travail à l'intérieur de la semaine dans le secteur des institutions et administrations publiques. Ce décret, qui concerne exclusivement les agents de l'Etat, donc les fonctionnaires, et le personnel contractuel de la fonction publique, n'a jamais fixé l'aménagement des horaires de travail pour les travailleurs des sociétés commerciales à capitaux publics ou privés. Cette réorganisation du repos hebdomadaire retient, à l'instar de ce qui était porté par le décret exécutif n°97-59 du 9 mars 1997, la journée du vendredi comme jour de repos légal et remplace le jeudi par le samedi, comme second jour de repos éventuel. Dès lors, cette réglementation n'était pas destinée au secteur économique et, par conséquent, ne l'obligeait pas à se conformer à ses dispositions, elle ne pouvait constituer, au mieux, qu'une préconisation, ou une suggestion, que les entreprises commerciales étaient libres d'appliquer ou de s'en affranchir. Avant les dispositions de la loi n°90-11 du 21 avril 1990, qui consacrent la journée de repos au vendredi, sauf contraintes de l'activité exercée, et qui permettent aux entreprises de structurer le travail en six jours, du samedi au jeudi, en cinq jours ou en cinq jours et demi, en respectant dans tous les cas le volume horaire de quarante heures par semaine, nul texte réglementaire ou législatif n'ayant jamais interdit aux sociétés commerciales d'organiser leurs temps de repos le vendredi et le samedi, elles pouvaient légalement le faire, déjà, depuis 1976. Le choix du jour pour jouir du droit au repos a, de tout temps, été matière à débat souvent houleux et polémique. Ce débat controversé met en opposition deux camps, dont les arguments relèvent, pour les uns de la préservation des intérêts économiques nationaux, et pour les autres de l'observation des préceptes religieux, quant à l'accomplissement de la prière du vendredi, et de leur démarcation définitive et ostentatoire d'une institution résiduelle, mais encore présente, de la France coloniale. Le premier camp, pour des motifs se rapportant aux échanges commerciaux et financiers avec la sphère économique mondiale, milite pour que cette journée soit celle du dimanche, précédée éventuellement par une demi-journée ou une journée de repos complémentaire le samedi. Cette prise de position et cette opposition ont été soutenues par l'UGTA, dont les dirigeants d'alors étaient des militants politisés, aguerris, et bien formés, lors de la décision en 1976 de Houari Boumediène, un président pourtant considéré comme progressiste, de modifier les jours du week-end, pour renouer avec ce qui était appelé à l'époque les valeurs civilisationnelles de l'Algérie. En fait, il s'agissait, cette année-là, de débat sur la Charte nationale, de donner satisfaction à un sentiment religieux qui se manifestait déjà et qui allait grandir au fil des années, jusqu'à devenir incontournable aujourd'hui. L'UGTA, pourtant proche du pouvoir et seule représentation syndicale de tous les secteurs d'activité à l'époque, dépendante, en tant qu'organisation de masse, du Front de libération nationale, s'est montrée hostile à cette décision, notamment dans sa composante dite de gauche, regroupant quelques sympathisants du courant d'Avant-garde socialiste, qui disposaient d'une relative influence sur les orientations politiques de la Centrale. En effet, dans son organe officiel, la revue Révolution et Travail, la Centrale syndicale s'insurge contre ce changement et soutient que le jeudi et le vendredi retenus comme journées de repos hebdomadaire constituent un véritable désastre économique, financier, commercial et culturel (...) impossible à mesurer. Travailler, communiquer, coopérer, faire du commerce ou des affaires durant trois jours avec le monde extérieur puis s'enfermer chez soi durant quatre autres jours, c'est démentiel (...). Les autres acteurs du champ économique n'ont manifesté aucune approbation ni aucune désapprobation à propos de cette modification du jour de repos hebdomadaire. Les détenteurs de capitaux privés, présents essentiellement dans la moyenne industrie manufacturière, bien que contrariés par ce changement, sont restés silencieux de crainte d'être soupçonnés d'éléments subversifs et contre-révolutionnaires, et de subir, indirectement, les réactions de l'idéologie révolutionnaire ; il faut souligner qu'en ces temps d'exaltation socialiste, des boulangeries ont été nationalisées. De même, les dirigeants des entreprises à capitaux publics, dites sociétés nationales à l'époque, qui étaient caporalisés et "fonctionnarisés" par leurs tutelles sectorielles, se sentaient obligés de louer la justesse de cette décision, dont ils étaient convaincus qu'elle allait à contre-courant des intérêts économiques nationaux. Le deuxième camp, pour des motifs religieux, estime que cette journée doit être le vendredi, qui est considéré pour les musulmans comme la journée la plus importante de la semaine, puisqu'elle signifie le jour du rassemblement pour effectuer la prière collective. Si toutes les prières de la semaine sont obligatoires, elles demeurent peu visibles dans la mesure où elles se pratiquent essentiellement dans la sphère privée, celle du vendredi est particulière car, au delà de sa charge symbolique et peut-être aussi politique, au sens nationaliste, elle oblige, ou elle donne l'opportunité à la communauté en tant que groupe social à montrer et à démontrer sa dévotion et son unité autour de sa croyance et de sa piété. Ce deuxième camp comptait également dans ses rangs les islamistes de l'époque qui, étant retranchés dans une discrétion prudente et mesurée, furent surpris, eux qui n'en demandaient pas tant, par une telle résolution qui leur conférait une victoire sans gloire. Ainsi, cette décision de substituer le vendredi au dimanche, en tant que jour légal du repos hebdomadaire, lui consacre une substance et une consistance religieuses dont il était dépourvu jusque-là. En fait, ce socle religieux, allégué par les tenants du retour à la conformité aux dogmes, est controversable, car c'est en abandonnant le dimanche pour le remplacer par le vendredi qu'il y a, paradoxalement, une reproduction des canons judéo-chrétiens et une imitation de ceux-ci par l'instauration du repos pour motif religieux. En effet, dans la religion musulmane, il n'y a pas l'équivalent de la religion juive où la semaine de sept jours est fondée sur l'observation du sabbat, ni l'équivalent dans le christianisme du jour du Seigneur : le repos dominical. Le terme sabbat est le nom du septième jour de la semaine qui est le samedi ; il désigne le jour de la cessation du travail, du repos. Institution essentielle à la vie religieuse juive, le sabbat commence dix-huit minutes (pour certains trois heures) avant le coucher du soleil le vendredi soir et se termine une heure après son coucher le lendemain. Son observance est fondée sur les textes bibliques et son statut est révélé à Israël après la sortie de son peuple d'Egypte, dans la traversée du désert. Le sabbat est donc identifié au septième jour de la création. Si les juifs sanctifient le samedi, dernier jour de la création, jour du repos de Dieu, les chrétiens choisissent le dimanche, jour de la résurrection, premier jour de la semaine comme jour de repos. Celui-ci est consacré à la messe et empêche de fait le travail. Il est destiné à honorer Dieu et est dédié tout entier à la vie spirituelle, à la relation personnelle avec Dieu. C'est un jour où l'on se préoccupe davantage de son prochain, un jour sans activité rémunératrice. Pour l'histoire, c'est dès le IIe siècle que le dimanche devient progressivement chômé chez les chrétiens, et, en 321, l'empereur Constantin fait de ce jour celui du repos légal au sein de l'Empire romain, ordonnant que les fonctionnaires et tous les habitants se reposent, et que tous les ateliers soient fermés. Dans la religion musulmane, il n'est prescrit ni par le Coran ni par la Sunna que le vendredi, ou d'ailleurs un autre jour, soit destiné au repos. Il est seulement commandé aux fidèles de cesser toute occupation, sans que cette cessation soit dommageable pour autrui, le temps de participer aux cérémonies religieuses de ce jour, se situant opportunément à la mi-journée.