“Est-il normal que le père de Zidane ne puisse pas voter en France ?” s'est interrogé Abderrahmane Dahmane, le secrétaire national chargé des associations issues de l'immigration au sein de l'UMP, le parti au pouvoir en France. L'argument semblait imparable. Il n'a pourtant pas fait mouche. C'est juste s'il a suscité quelque incrédulité. C'est Abderahmane Dahmane, le secrétaire national chargé des associations issues de l'immigration au sein de l'UMP, le parti au pouvoir en France, qui l'a brandi. “Est-il normal que le père de Zidane ne puisse pas voter en France ?”, a interrogé ce fidèle de Nicolas Sarkozy, le ministre de l'Intérieur qui cumule ses fonctions avec celle de chef de l'UMP à l'ambition présidentielle irrépressible. Smaïl Zidane, arrivé en France en 1953, à l'âge de 18 ans, n'est pas autorisé à voter dans ce pays auquel il a donné un fils qui sait faire chanter le coq gaulois, Zizou, le plus populaire des Français dont le mythique Stade de France devrait porter le nom pour l'éternité comme le suggérait très sérieusement le très influent quotidien sportif L'Equipe. Zizou venait de rallumer la flamme bleue et de qualifier la France pour la prochaine phase finale de la coupe du monde... Par sincérité ou par démagogie, M. Sarkozy a dépoussiéré un sujet récurrent depuis 24 ans de la politique française : celui du vote des immigrés aux élections municipales. “À titre personnel, je considère qu'il ne serait pas anormal qu'un étranger en situation régulière, qui travaille, paie ses impôts et réside depuis au moins 10 ans en France, puisse voter aux élections municipales. Il faut que le début sur cette question soit réfléchi et serein. Je veux lutter contre l'immigration clandestine de toutes mes forces car le laxisme fait des ravages. Je veux dans le même temps renforcer la chance de l'intégration pour les étrangers en situation légale. Le droit de vote aux municipales en fait partie. Il va de soi que le vote aux législatives ne peut être le fait que de citoyens français”, suggérait M. Sarkozy dans un entretien avec le quotidien Le Monde daté du 25 octobre. Le chef de l'UMP reprenait ainsi la 80e des 110 propositions qui formaient le programme de François Mitterrand à l'élection présidentielle de 1981. Jusqu'en 1999, lorsque Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l'Intérieur, estimait “envisageable” le vote des immigrés avec l'accord de Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale qui s'y disait “favorable”, la gauche a porté ce projet quand la droite s'y est toujours opposé. Le 2 mai 2000, une proposition de loi est soumise pour la première fois au vote des parlementaires. La réforme est adoptée par la gauche et par deux élus centristes, mais Lionel Jospin, alors chef du gouvernement, renonce à l'inscrire à l'ordre du jour du sénat où siège une majorité de droite immuable. En octobre 2002, après la victoire de Jacques Chirac et de la droite aux législatives, un député UMP de la région parisienne fait circuler un texte sur une “nouvelle politique de l'intégration” où il se déclare favorable au vote des immigrés. Le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, un notable de province, oppose une fin de non-recevoir en marquant sa préférence pour la naturalisation. La gauche n'en démord pas et soumet une nouvelle proposition en novembre 2002. Elle est encore rejetée par la droite qui refuse de rouvrir la discussion. Le climat préélectoral qui précédé le scrutin présidentiel de 2007 semble pourtant favoriser la reprise du débat à l'initiative de M. Sarkozy. Le candidat déclaré, qui a commencé à paître sur les terres de l'extrême droite, se laisse aussi tenter par celles de gauche où son rival Dominique de Villepin jouit d'une certaine sympathie grâce à son anti-américanisme et à sa volonté de préserver du libéralisme à tout crin le modèle social français. Sarkozy cible aussi les intellectuels français réputés être sensibles aux causes humaines, ainsi que les habitants des banlieues où certains de ses propos ont été perçus comme une insulte. Lors du meurtre du jeune Sid Ahmed, à la cité La Courneuve, M. Sarkozy avait affiché sa volonté de “nettoyer au karchër” ces cités. Le propos a été jugé fort comme si en ces lieux proliférait la souillure. La semaine dernière, à l'occasion d'un iftar, organisé par son Abderahmane Dahmane à Colombe, en région parisienne, le chef de l'UMP a fait son mea-culpa appuyé par son “ami” qui s'est livré à une explication de texte afin de rendre leur sens aux propos du ministre. “Il s'agit de nettoyer les cités des voyous et des caïds pour permettre aux familles de vivre dans la tranquillité”, expliquait M. Dahmane au grand ravissement de Sarkozy. Tout cela s'est passé dans une ambiance de fête, avec youyous, zorna et tambours, qui a fait de dire à M. Dahmane que les noces de Sarkozy avec la République venaient de commencer. “J'ai mon porte-parole”, lui a répondu le ministre lorsqu'il lui a succédé à la tribune. Lorsque Sarkozy a exhumé le dossier du vote des immigrés, c'est tout naturellement que son “ami” est venu le soutenir. “Nicolas Sarkozy a eu le courage d'en finir avec cette imposture : il veut tout simplement permettre au père de Zidane de devenir citoyen”, écrit M. Dahmane dans un communiqué publié au nom du Conseil des démocrates musulmans de France qu'il préside. Si la gauche applaudit en mettant M. Sarkozy au défi de traduire son intention par la proposition d'un texte législatif, la droite freine des quatre fers. Comme Raffarin en 2002, Dominique de Villepin marque sa préférence pour la naturalisation comme condition de jouir du droit de vote. “Je crois à la force du lien entre nationalité et citoyenneté : c'est la naturalisation qui donne le droit de s'exprimer sur les orientations politiques locales et nationales. La naturalisation est un choix important qui marque la volonté d'appartenir à la communauté nationale”, argumente-t-il. Chez certains députés, c'est carrément l'émoi. Nicolas Dupont-Aignant s'est dit “inquiet par le geste démagogique” de M. Sarkozy. “C'est gravissime. ça va choquer les gens. Il croit qu'il va gagner sur tous les plans, mais il va perdre”, parie-t-il. “Envisager le vote des étrangers ne peut que semer le trouble chez nos concitoyens et en particulier au sein de l'UMP. Accepter le vote des étrangers aux municipales dont les élus désignent les sénateurs de la République c'est tout simplement désagréger la nation française, une et indivisible”, s'alarme un autre. À ceux-là, Sarkozy répond qu'il veut “donner de l'air à la droite” en s'appropriant des “idées neuves”. En attendant l'épilogue de ce combat, le vieux Smaïl Zidane en est devenu l'emblème. À son insu. Yacine Kenzy