Les choix du gouvernement de traiter des phénomènes de société, comme la harga, par la voie pénale, ont déjà montré leurs limites quant à leur efficacité. Lors des travaux de la rencontre gouvernement-walis, tenue au Palais des nations, samedi et dimanche, à Alger, le chef de l'Etat Abdelmadjid Tebboune a évoqué, dans son discours, la spéculation sur les produits de base qu'exercent des "parasites et des intrus" qui, selon lui, "tentent d'épuiser les moyens de l'Etat en créant des pénuries", en précisant, par ailleurs, que l'Etat sera "intransigeant" et est déterminé à "retrouver son autorité qui émane du peuple". Le Président a donné ensuite des instructions immédiates pour l'élaboration de textes de loi criminalisant la spéculation sur les produits de base, une pratique, par ailleurs, largement répandue en Algérie, et qui frappe durement les ménages et les consommateurs qui en sont les premières victimes. S'il ne fait aucun doute que les autorités, à travers l'élaboration de cette loi, cherchent à se donner les moyens de protéger les citoyens, notamment les couches défavorisées, lourdement impactées par la spéculation sur les prix, la question d'efficacité de cette même loi se pose avec acuité. D'abord, il n'est un secret pour personne, qu'en terme de lois, leur respect n'est pas toujours la règle ! Difficile d'imaginer, par ailleurs, mettre un terme à la spéculation, devenue un véritable phénomène, en décrétant des lois répressives concernant, notamment, les produits de base devenus, comme tout le monde le sait, la chasse gardée des intermédiaires indélicats et des spéculateurs de tout acabit. Il est, par ailleurs, utile de rappeler que le gouvernement n'est pas à sa première loi dans le genre. Les autorités du pays ont toujours mis en place des dispositifs législatifs de lutte contre la fraude, les violences en tout genre contre les femmes, contre les imams ou encore contre les médecins mais qui, dans les faits, n'ont pas ou sont encore loin d'atteindre leurs objectifs. C'est également le cas de la loi criminalisant la triche à l'examen du baccalauréat qui, selon des experts, ne réglera en rien le phénomène de la fraude. Mais toujours dans ce registre, la fameuse loi criminalisant l'émigration clandestine, communément appelée harga, s'avère l'exemple le plus édifiant des limites de la double gestion sécuritaire et pénale des phénomènes sociaux. Promulguée en 2009 et prévoyant des dispositions pénales contre la migration irrégulière par voie maritime, la loi n°09-01 du 25 février 2009 portant sur les infractions commises contre les lois et règlements relatifs à la sortie du territoire national n'a en rien empêché des milliers d'Algériens de tenter la traversée de la Méditerranée au péril de leur vie. Bien au contraire, ce phénomène a atteint aujourd'hui des proportions alarmantes, et touche femmes, hommes, jeunes et même des personnes âgées. Pour le politologue Mohammed Hennad, le recours "abusif" des autorités aux lois face à des phénomènes sociaux "est révélateur autant du manque de leur lisibilité dans la gestion des problèmes du pays de manière générale, que du manque de la légitimité des promoteurs de ces mêmes lois". "Une crise de légitimité, poursuit-il, liée au manque de confiance entre la population et ses dirigeants". Selon lui, il existe tout un arsenal de lois criminalisant des "délits", touchant à la vie des citoyens, mais qui "souffrent cruellement de leur non-application". Dès lors, la question est de savoir si le gouvernement n'est pas appelé à adopter une autre approche dans l'appréhension de ces maux qui rongent la société.