Liberté : Le gouvernement a décidé de revoir à la hausse le prix de l'huile alimentaire, en fixant, désormais, un plafond tarifaire à la consommation. S'agit-il d'une levée à petites doses des subventions au prix des produits de base ? Mohamed Achir : Je pense qu'il s'agit d'une approche progressive et graduelle consistant en la restructuration, voire la suppression des subventions généralisées, dont l'objectif est de réduire le poids énorme des subventions dans le budget de l'Etat, d'une part, et de réaliser plus d'équité dans la politique de redistribution sociale, d'autre part. En effet, selon des études réalisées par des institutions économiques et financières internationales, les subventions généralisées profitent plus aux riches qu'aux pauvres. C'est une politique qui génère également des effets pervers comme le gaspillage, les détournements et l'alimentation des circuits informels et de contrebande. En Algérie, même le choix d'investissement de certaines entreprises a été influencé ou intéressé par le captage d'une partie de la rente des subventions. Il faut noter que les subventions du sucre, de l'huile, des céréales et du lait ont coûté environ 208 milliards de dinars au Trésor public en 2019 (selon le ministère des Finances). Ce montant devait augmenter en 2020 et 2021 si l'on tient compte de la hausse des cours des matières premières sur les marchés mondiaux. Parallèlement à cette réforme, il faudra par-dessus tout évaluer certaines filières de l'industrie agroalimentaire par rapport à leur niveau d'intégration et de participation à la création de richesses et d'emplois. Dans l'avant-projet de loi de finances 2022, l'Exécutif fait montre d'une volonté de passer d'un système de subventions généralisées vers un système de subventions dirigées en faveur des ménages nécessiteux. Du point de vue pratique, comment voyez-vous la concrétisation de ce dispositif de ciblage des subventions ? Je pense que son application sur le terrain est très difficile, mais il demeure que la réforme du système est inévitable. Le retour également à la vérité des prix accompagné par un transfert monétaire direct aux personnes et catégories sociales éligibles est impératif, mais il doit se faire, à mon avis, sans thérapie de choc pour éviter des résistances, voire des contestations violentes. Le dispositif de ciblage doit être conçu avec une approche globale, c'est-à-dire en plus d'une identification statistique et la mise en place d'une carte nationale d'éligibilité ; il faudrait mettre en place un nouveau système national de solidarité et de services sociaux. Un système qui protégera les pauvres, les classes moyennes, les chômeurs, les personnes âgées sans ressources... Ce qui implique une méthode complémentaire des transferts monétaires directs et de protection sociale ciblée. En tout cas, il faut retenir que les méthodes de ciblage ne sont jamais parfaites. Selon les calculs officiels, les subventions ont coûté à l'Etat en moyenne 3 250 milliards de dinars par an sur la période 2012-2017 (soit environ 19,3% du PIB). Peut-on estimer les économies que cette révision pourrait générer à l'Etat ? Je pense qu'en l'état actuel des finances publiques, l'Etat ne saurait faire de grandes économies, mais gagnerait plutôt en la réallocation et redistribution efficace des revenus. En se basant sur des données du ministère des Finances datant de 2019, les allocations familiales ne sont que de 35 milliards de dinars, alors qu'il est plus utile d'augmenter ces dernières qui touchent directement les familles. En somme, les transferts sociaux vers la santé, l'éducation, les produits de première nécessité, l'électricité, le gaz, l'eau, les retraités, les moudjahidine, les handicapés et les démunis coûtent environ 1 900 milliards de dinars. Donc, il y a encore environ 1 300 milliards de dinars de subventions indirectes qu'il faut rationaliser. Il s'agit surtout des subventions en capital, les taux d'intérêt, les avantages fiscaux, l'énergie, etc. La rationalisation est impérative face à une véritable contrainte budgétaire. Il est plus que jamais nécessaire de faire simultanément des réformes structurelles et des stabilisations des comptes publics internes et externes. Le déficit budgétaire prévisionnel estimé dans le PLF 2022 est de l'ordre de 3 000 milliards de dinars, les créances de la Banque d'Algérie vis-à-vis du Trésor public ne cessent d'augmenter et peuvent atteindre à court terme les 8 000 milliards de dinars. Cela pour dire que le financement monétaire des déficits publics représente un danger en l'absence d'une forte croissance économique. N'y a-t-il pas un risque que cette révision du dispositif des subventions crée de l'inflation ? Effectivement, sans les subventions des produits de première nécessité et de l'énergie notamment, l'inflation aurait enregistré un taux à deux chiffres, surtout avec la récente augmentation des matières premières et des coûts logistiques à l'international. Il faut également prendre en compte le fait que pratiquement tous les produits agricoles, agro-industriels et les viandes sont subventionnés directement et indirectement. D'où le caractère structurel des subventions des prix dans l'économie algérienne. Le risque à ne pas écarter est la résistance aux réformes, d'autant plus que les gouvernements successifs ont fait des subventions un levier pour la stabilisation politique et sociale.