Personnage discret, universitaire rigoureux et chercheur sans cesse renouvelé. Le catholique Jean-Louis devenu musulman Omar a labouré, durant de longues années, l'Algérie du mouvement national. C'était une figure universitaire discrète, un des meilleurs spécialistes du Mouvement nationaliste algérien et de Messali Hadj. L'historien Omar Carlier qui nous a quittés à la veille du 1er Novembre a immensément contribué à mettre de la lumière sur les points aveugles de la période coloniale. Il a formé des générations d'étudiants, qui, à leur tour, sont devenus chercheurs. Auteur de plusieurs ouvrages, Jean-Louis Carlier, né dans la région parisienne, il y a 78 ans, épouse une Algérienne. Il devient Omar Carlier et embrasse une carrière particulièrement algérienne dès 1968. Algérien de cœur et de raison, Omar Carlier était contraint de quitter son pays d'adoption en 1993 quand l'extrémisme islamiste frappait aveuglément. Avec sa disparition, c'est une grande page de la recherche historique qui se tourne. Il laisse un immense héritage universitaire dans la discipline d'Histoire et dans celle de l'anthropologie. Ses collègues et anciens étudiants lui vouent une reconnaissance scientifique et une gratitude humaine. Ils déplorent la disparition d'un "historien rigoureux" et un être d'une grande humanité. Pour Nadir Marouf, professeur émérite des universités, Omar Carlier, qu'il a connu et côtoyé dès la fin des années 1960, restera "un des rares chercheurs contemporains à avoir osé un regard phénoménologique de l'histoire du Maghreb en train de se faire". Benjamin Stora, spécialiste de l'Algérie et du Maghreb, déplore la perte d'un "grand historien de l'Algérie" rencontré pour la première fois en 1976 à l'occasion de travaux sur l'Etoile nord-africaine. Omar Carlier qui a succombé à une longue maladie, est né en 1943 dans la région parisienne, Jean Louis — qui prendra, plus tard, le prénom d'Omar après sa conversion à l'islam — se rendra en Algérie au lendemain de l'indépendance après avoir obtenu une licence en droit. En 1968-1969, il exerce à la faculté de droit et des sciences économiques de l'université Oran Es-Sénia dans le cadre de la coopération. Historien mais également juriste, il enseignera le droit et les sciences politiques tout en conduisant des recherches sur le Mouvement national. Dans le milieu des années 1980, il contribuera à la création de l'Unité de recherche d'anthropologie sociale et cultuelle à l'initiative du sociologue Nadir Maarouf. Les débuts du terrorisme dans les années 1990, le contraignent à quitter l'Algérie en catastrophe pour Paris où il décrochera le poste de professeur associé en histoire à l'université puis maître de conférences à Paris-Sorbonne avant de rejoindre Paris VII. Français de naissance mais Algérien de cœur, Omar Carlier laisse un important legs en livres et articles sur l'histoire du Mouvement nationaliste du pays qu'il a adopté. Il lègue notamment une thèse intitulée "Socialisation politique et acculturation par la modernité, de l'Etoile nord-africaine au Front de libération nationale de 1926 à 1954", et des ouvrages tels que Entre nation et Jihad. L'histoire sociale des radicalismes algériens, Larbi Ben M'hidi : l'homme des grands rendez-vous rédigé avec El-Hachemi Trodi, Espaces maghrébins, la force du local ? coécrit avec Jacques Berque, L'histoire, écritures et libérations : autour de Mohammed Harbi et Le corps du leader : construction et représentation dans les pays du Sud, Le cri du révolté, et surtout Imache Amar, un itinéraire militant. Spécialiste du Mouvement nationaliste algérien et de Messali Hadj, Omar Carlier était également chercheur au Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle d'Oran (Crasc) où il se rendait régulièrement. "Il ne cessa pas de s'interroger sur l'histoire sociale et culturelle du Maghreb et de l'Algérie (...) En marge du travail documentaire intense qui le menait sur le terrain des bibliothèques et des centres d'archives, il ne lésinait pas sur le contact humain aussi longtemps que les témoins vivants du siècle passé (...) étaient susceptibles de se prêter à ses interviews", se rappelle encore Nadir Marouf.