En Algérie, cela dure depuis l'indépendance, la seule chose qui résiste, qui perdure et qui a traversé des générations, c'est bien la langue du bois. Elle est éternelle ! Inoxydable. On dirait que le bois de la langue du bois est un marbre ! La langue du bois demeure. Les politiciens de gauche, de droite, d'islamisme, les universitaires les douktour, les écrivaillons se retirent ou meurent, elle est toujours là, ardente et juvénile ! Avant le "redressement révolutionnaire" du 19 juin 1965, il y avait déjà cette langue du bois criante dans les rues d'Alger, d'Oran, d'Annaba... Depuis 5 juillet 1962, dans des discours de vainqueurs, elle faisait vibrer les petites gens ! Faisait danser le citoyen dupé. Faisait chanter le citoyen naïf. Poussait la citoyenne lambda à lancer des youyous. Et elle le fait toujours pour les mêmes personnes, pour les mêmes raisons ! La langue du bois est devenue une culture nationale. On dirait un ADN. L'Algérien est né avec une langue de bois dans sa bouche ! Sobhane Allah ! Après "le redressement révolutionnaire" du 19 juin 1965, cette langue a pris longue langue. Devenue maîtresse des nouveaux maîtres des lieux et des discours. Encore une fois, la langue de bois s'est installée sur les langues des nouveaux vainqueurs pour critiquer les anciens vainqueurs devenus vaincus ! Le vainqueur comme le vaincu use de la même langue : la langue de bois. Le "redressement révolutionnaire" du 19 juin 1965 n'a pas pu redresser la langue de bois. Ces redresseurs-révolutionnaires, eux aussi, sont nés politiquement avec la langue de bois dans leurs bouches. Sobhane Allah ! C'est la langue de bois qui a redressé les nouveaux vainqueurs pour qu'ils parlent comme les vaincus qui jadis utilisaient la langue de bois ! Labyrinthe ! Subhane Allah ! En Algérie, le vainqueur et le vaincu sont frères de lait, allaités par le même sein : la langue de bois ! Ils utilisent le même lexique pour dire la même chose et son contraire ! Chez nous, on fait la guerre, la paix et même l'amour par, avec et dans la langue de bois. Tout est en bois ! Les Algériens, les décideurs, adorent la langue de bois, comme le feu de bois. Comme le plaisir de consommer une bière dans le bois sauvage ! Comme le bonheur d'un rendez-vous amoureux dans le bois !La langue de bois nous encercle de tous les côtés. Dans la respiration. À la télévision. À la radio. Dans la poésie. Dans les JT. En médecine. En football. Chez le vendeur des légumes. Chez le poissonnier. Le discours sur la patate. Le débat interminable sur le prix de la sardine. Sur les réseaux sociaux. La langue de bois est la patrie pour toute âme morte-vivante. Dans les années 70', oui m'sieur ; tambour battant, on a monté toute une révolution appelée la la "révolution agraire" par et dans la langue de bois. Et le résultat est connu. La pomme de terre est à 130 dinars ! On a fait la "médecine gratuite" par et avec la langue de bois. Et le résultat sanitaire est criant. On a monté une industrie industrialisée éphémère avec et dans la langue de bois. Des usines qui fonctionnaient au moulin à vent de "langue de bois" ! Et le résultat est toujours là. On a décidé l'arabisation par la langue de bois pour entretenir une nouvelle langue de bois. Et nous nous sommes retrouvés sans langue, mais avec une langue de bois. On a fondé l'école fondamentale dans, par et pour la langue de bois, rien que la langue de bois. Et le résultat est sinistre : un génocide intellectuel et pédagogique qui a frappé plus de génération et continue de le faire. On a défendu Allah par et dans la langue de bois. On a imposé une vision de religion par la langue de bois. Et le résultat est sanglant. La langue de bois n'est qu'une épée. Une décennie de sang et de haine. Pour tuer la démocratie, on a acté la démocratie par la langue de bois. Ainsi, tous les partis légaux sont nés de la matrice illégale de la langue de bois. Ils sont, tous, frères de bois et de langue. On a fait le pluralisme par la langue de bois pour protéger la langue de bois et reproduire avec génie une nouvelle génération de la langue de bois, celle d'internet. On a élevé l'amitié dans la langue de bois. De même l'animosité. Et l'ami n'est que l'ennemi, et vice-versa. La langue de bois n'est pas liée à une langue précise. Elle est dans la langue arabe. Elle est dans le français. Elle est religieuse. Elle est littéraire. Elle est politique, bien sûr. Elle est journalistique. Elle est même dans la chanson. Elle est dans le sport. Dans l'import-export ! Partout ! Le jour où l'Algérien, décideur et lambda, arrivera à se libérer de la langue de bois dans la politique, la presse, la religion, la littérature... ce jour-là il saisira, lira son monde différemment et sortira de l'impasse !