Par : Mohamed Arezki Himeur Le Ruisseau des Singes est introduit dans les tablettes des circuits touristiques proposés par les agences de tourisme et de voyages depuis le XIXe siècle. Sur une carte de visite de 1901, on pouvait lire que l'auberge du Ruisseau des Ringes proposait des "déjeuners à toute heure", une "cuisine de premier choix", des "repas sur commande" et des "consommations de premières marques et de premier choix". Pendant les années 1990, le Ruisseau des singes a été déserté par les visiteurs. Même les singes magots ont fui les lieux, chassés par le fracas des attentats, des accrochages, des bombardements et des incendies. Le Ruisseau des singes est un site pittoresque et enchanteur. Il porte bien son nom. Il est le fief de ces quadrumanes. Disparus pendant la "décennie rouge", les macaques sont revenus en force sur leur territoire. Les tout premiers – une demi-douzaine environ – ont été aperçus vers 2001, près du village d'El-Hamdania, sur la route nationale n°1 reliant Blida et Médéa, à 65 km au sud-ouest d'Alger. Le Ruisseau des Singes, situé dans les gorges de la Chiffa, a été qualifié "l'une des merveilles de l'Algérie" par un auteur voyageur du XIXe siècle. Il drainait déjà à l'époque – période pendant laquelle les moyens de transport étaient pourtant rudimentaires par rapport à ceux d'aujourd'hui – un grand nombre de touristiques, de voyageurs, de chercheurs, d'écrivains, de journalistes, d'artistes et de curieux. Des étrangers essentiellement. Les Anglais figuraient, entre le milieu du XIXe siècleet le début du siècle suivant, parmi ses admirateurs assidus. Il constituait l'un des sites naturels les plus fréquentés du centre-nord de l'Algérie. Pendant les années 1990, le Ruisseau des Singes a été déserté par les visiteurs. Même les singes magots ont fui les lieux, chassés par le fracas des attentats, des accrochages, des bombardements et des incendies. La route reliant le village de la Chiffa à Médéa, construite entre 1862 et 1870, était fermée à la circulation automobile dès 16-17 heures, selon les saisons. L'hôtel du Ruisseau des Singes avait baissé le rideau. Il avait été sérieusement endommagé : portes et fenêtres arrachées, toiture effondrée, etc. Les automobilistes passaient par cet endroit en coup de vent de peur de tomber sur un faux barrage. Napoléon III dans la Chiffa Autre temps, autre ambiance. La situation a changé. Elle a évolué dans le bon sens du terme . Le Ruisseau des Singes commence à recouvrer sa physionomie, à renouer, timidement il est vrai, avec son animation d'antan. Il accueille de nombreux visiteurs, en majorité des familles, notamment les week-ends. Les singes constituent l'attraction principale des enfants, tandis que l'attention des adultes se focalise sur le paysage et les cascades qui finissent leur course dans le lit de l'oued Chiffa, réceptacle de plusieurs cours d'eau de cette partie de l'Atlas blidéen. Quel magnifique spectacle ! L'autre curiosité est le tronçon de la route construit sur des piliers, sur le flanc d'une montagne abrupte, dont l'eau sortant de certains interstices est fort appréciée des connaisseurs. Elle est considérée comme une excellente eau minérale, qui n'a rien à envier à celles vendues dans les magasins. L'hôtel du Ruisseau des Singes constitue une escale pour les touristes et les voyageurs, algériens et étrangers, se rendant à Médéa et vers les régions du Sud algérien. Vu son âge (il date du milieu du XIXe siècle), il mériterait d'être classé, de figurer dans la liste des sites et patrimoines touristiques du pays. Il a accueilli, jusqu'au printemps 2019, plusieurs groupes de touristes étrangers, notamment français, qui allaient ou revenaient d'un pèlerinage au monastère des moines de Tibhirine, près de Tamesguida, dans la wilaya de Médéa. L'établissement a reçu des hôtes de marque, de nombreuses personnalités politiques et culturelles, algériennes et étrangères. Certains y ont laissé leurs impressions sur les livres d'or. Des portraits d'illustres visiteurs sont accrochés sur les murs du restaurant, tels ceux du colonel Ahmed Bencherif, Saad Dahleb, Ferhat Abbas, Guy de Maupassant, le prince Philip, le duc d'Edimbourg et bien d'autres. L'empereur Napoléon III y avait déjeuné lors de son voyage en Algérie, en 1865. L'endroit était cité déjà dans des guides touristiques, des récits et reportages rédigés par des écrivains de renom, dont Guy de Maupassant et Alphonse Daudet. Admirable ravin L'hôtel, plus connu sous le nom d'auberge, est tapi aux pieds des montagnes, sur les berges d'un ruisseau dont l'eau caresse les racines d'un platane vieux de 200 ans. Les singes magots font partie du décor. Ils sont revenus en force après avoir déserté les lieux durant la période du terrorisme. Ils se présentent parfois nombreux. Ils s'approchent des clients de l'auberge ou des automobilistes faisant une halte sur le bord de la route. L'appât des cacahuètes et autres biscuits semble avoir diminué quelque peu leur méfiance envers les humains. Cependant, "les singes de la Chiffa acceptent les présents des hommes", mais n'accordent pas "confiance à l'homme" et "se méfient de ses caresses", relevait Le Petit Echo de la mode dans son édition du 1er juin 1913. Il faut dire que sur ce point, les macaques de la Chiffa n'ont pas changé d'attitude. L'écrivain et journaliste français Guy de Maupassant, qui avait séjourné en Algérie au milieu du XIXe siècle, écrivait, à propos de ces singes : "Il y en a d'énormes et de tout petits, des centaines, des milliers peut-être. Le bois en est rempli, peuplé, fourmillant (...) sitôt que l'on demeure immobile, ils s'approchent, vous guettent, vous observent. On dirait que le voyageur est la grande distraction des habitants de ces vallons." Alphonse Daudet a qualifié les gorges de la Chiffa d'"admirable ravin", dans un texte publié dans Le Figaro en 1863. "Le paysage est splendide. A droite et à gauche, des montagnes à pic, toutes noires de verdure ; des roches éboulées, grosses comme des cathédrales ; une végétation splendide : thuyas, lauriers-roses, des nuées de petits singes roux, sautillant de branche en branche, en poussant des 'couic, couic' déchirants..." Une halte touristique "C'est à vous, touristes, qu'est réservée la tâche d'observer cette variété de magots dont la disparition serait un vide bien regrettable dans l'admirable spectacle de ses gorges natales et de compléter l'histoire de ses mœurs. Peut-être, en me lisant douterez-vous de la réalité de ce que je viens d'écrire sur la Chiffa, ses gorges et ses singes. Alors, venez vous en assurer", soulignait Léonor Viollet dans un guide sur la Chiffa, publié en 1885. Le singe magot est présent dans au moins quatre endroits du pays ; ses sites naturels sont les gorges de la Chiffa, le Djurdjura, la forêt de Yakouren et le mont Gouraya qui surplombe Béjaïa. Le Ruisseau des Singes est introduit dans les tablettes des circuits touristiques proposés par les agences de tourisme et de voyages depuis le XIXe siècle. Sur une carte de visite de 1901, on pouvait lire que l'Auberge du Ruisseau des singes proposait des "déjeuners à toute heure", une "cuisine de premier choix", des "repas sur commande" et des "consommations de premières marques et de premier choix". Toute pub mise à part, le menu riche et varié proposé avant la Covid-19 était apprécié par les consommateurs. "C'est dans cette auberge, sous une tonnelle naturelle, que le déjeuner de sa Majesté (Napoléon III) avait été préparé" lors de son voyage en Algérie en mai 1865, rapportait Le Monde illustré. Le royaume des singes Les singes, nombreux parfois à s'aligner sur les bords de la route ou à s'agripper sur les flancs de la montagne, font la joie des enfants. Pour les inciter à s'approcher, les bambins, des adultes aussi par moment, leur donnent des cacahuètes et des biscuits. Ce que déconseillent, voire interdisent les services des forêts. Lorsque les singes veulent changer de "menu", ils s'approchent donc, surtout à l'heure du déjeuner, de l'hôtel. Dès qu'ils prennent place sur la terrasse de l'établissement, une pluie de gousses de cacahuètes tombe sur eux. Ils en raffolent. Ils maîtrisent à merveille l'art de séparer la coque de la graine. "Avec une science consommée, l'animal dépouille l'écorce et déguste, avec une lueur de contentement dans l'œil, l'arachide tant convoitée", relevait le magazine Le Petit Echo de la mode dans son édition du 1er juin 1913. Les aïeux des singes magots actuels avaient-ils réussi à s'accommoder des sifflets stridents des trains qui traversaient leur territoire, leur royaume depuis la fin du XIXe siècle ? L'ancienne voie ferrée désaffectée assurant la liaison entre Blida et Médéa avait été construite en 1891, puis étendue jusqu'à Djelfa en 1921. Les tunnels creusés dans le roc des gorges sont visibles depuis la route nationale. Le viaduc, construit à la même période, est toujours là ; il fait d'ailleurs partie des curiosités du site.