Une année après la signature des Accords d'Abraham qui normalisent les relations entre Tel-Aviv et plusieurs capitales arabes, l'Etat hébreu renforce sa présence dans la région Mena. Au Maroc, il se déploie tout particulièrement dans le domaine militaire et sécuritaire. Une pénétration qui ne manque pas de nourrir les inquiétudes sur la stabilité dans la région. Mercredi, le Maroc a déroulé le tapis rouge au ministre de la Défense israélien qui effectuait une visite de 48 heures, une première d'un officiel de ce rang dans un pays arabe. Jusque-là, ni l'Egypte ni la Jordanie qui, pourtant, entretenaient des relations officielles avec l'Etat hébreu depuis plusieurs années n'ont reçu un ministre de la Défense israélien, un militaire de surcroît, ancien chef d'état-major de Tsahal, tristement célèbre pour avoir mené la sinistre guerre contre Ghaza, en Palestine, en 2014. C'est de Benny Gantz qu'il s'agit. Lors de son déplacement à Rabat, il a signé un accord d'entente sécuritaire "historique" avec, sans doute, des répercussions sur toute la région. Cet accord est censé fixer "un cadre solide pour formaliser les relations sécuritaires et soutenir des collaborations futures", selon un communiqué du ministère de la Défense israélien. Avec cette nouvelle alliance, les deux pays envisagent concrètement de renforcer leur coopération dans les domaines du renseignement et de l'approvisionnement en équipements militaires sophistiqués. En la matière, l'Etat hébreu est l'un des principaux exportateurs du monde de drones armés et de logiciels de sécurité tels que Pegasus, de la société NSO Group, qui a fait couler beaucoup d'encre l'été dernier. Le Maroc est depuis quelques années un "gros client", un acheteur important de drones israéliens. La coopération ne s'arrêtera pas là, puisque les deux pays, selon des médias internationaux, envisagent des exercices militaires bilatéraux. Ces échanges multiformes officiels s'articulent évidemment sur des "intérêts communs" dans un contexte géostratégique qui connaît un bouleversement inédit dans toute la région, avec l'apparition d'alliances qui chamboulent en profondeur la géopolitique régionale. Pour Tel-Aviv, il est clair que c'est un pari gagnant puisqu'il franchit présentement une autre étape dans son "intrusion" dans la scène arabe, dans le sillage des Accords d'Abraham. L'Etat hébreu, en élargissant son champ d'action diplomatique dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, mais aussi, et depuis peu, sur tout le continent africain, où il a obtenu le statut de membre observateur au sein de l'UA, a réussi le double exploit de sortir, d'abord, d'un long isolement régional, mais également à inscrire des points précieux, en multipliant ses partenaires commerciaux et économiques. Ce n'est pas tout puisqu'au passage, on peut dire que la cause palestinienne dans ce jeu d'alliances ne compte pratiquement plus aucune voix, ou presque, dans ses soutiens traditionnels arabes. La percée d'Israël au Maroc répond donc à ses multiples objectifs inscrits dans un processus long, réfléchi et hautement stratégique. Environnement crisogène "Cette nouvelle alliance, puisqu'il s'agit bien de cela entre Israël et le Maroc, s'inscrit dans le long processus de normalisation avec les Etats arabes. Une normalisation, faut-il le préciser, qui coïncide avec l'émergence de puissances régionales comme les Emirats arabes unis qui portent, à leur tour, des ambitions hégémoniques dans tout le monde arabe, mais aussi en Afrique. De ce point de vue, pour le Maroc, l'alliance qu'il a conclue avec Israël lui offre un atout indéniable pour réaliser ses objectifs hégémoniques dans le Maghreb, au Sahel et en Afrique", analyse le chercheur en relations internationale, Brahim Oumensour. Israël, pour sa part, explique-t-il, met sur la table un atout majeur qui lui sert de moyen de pression indéniable. "Avec le développement d'une offre de service dans le domaine sécuritaire et du renseignement, l'Etat hébreu séduit de plus en plus d'Etats arabes qui, eux, espèrent, avec l'acquisition de ces équipements militaires et de technologie de pointe, étendre leur influence. Ce qui est le cas du Maroc qui est dans une concurrence historique de leadership régional." Concrètement, Rabat, avec un soutien diplomatique de taille, va se permettre d'"imposer le fait accompli sur le dossier du Sahara occidental, faisant fi de la solution multilatérale onusienne basée sur les négociations entre les différents belligérants". Comment ces nouveaux développements vont-ils impacter l'Algérie dont les relations avec le Maroc sont crisogènes ? Mais encore, comment va-t-elle réagir face à cette nouvelle donne, elle qui est ouvertement hostile à Israël ? Il est clair qu'Alger suit d'un œil averti l'évolution de l'Etat hébreu au Maghreb et en Afrique. Lors de sa visite, le ministre de la Défense israélien a formellement dit que le protocole d'accord sécuritaire entre les deux pays s'inscrit dans l'objectif de faire face aux "menaces et défis dans la région". Benny Gantz est le deuxième haut officiel à s'inquiéter d'une menace dans la région, allusion claire à l'Algérie. Avant lui, le ministre des Affaires étrangères israélien, Yaïr Lapid, en visite au Maroc, les 11 et 12 août dernier, a exprimé des "inquiétudes au sujet du rôle joué par l'Algérie dans la région, son rapprochement avec l'Iran et la campagne qu'elle a menée contre l'admission d'Israël en tant que membre observateur de l'Union africaine". Pour le chercheur Brahim Oumensour, il est évident que l'Algérie, "qui ne cache pas son hostilité pour l'Etat hébreu", est directement visée par Israël. "L'Algérie se sent évidemment naturellement visée par cette coopération sécuritaire de haut niveau entre Rabat et Tel-Aviv, d'autant plus que cette nouvelle entente ouvre les portes à une présence israélienne directe aux frontières algériennes", explique-t-il. Il ajoute que dans ce contexte, "Alger va inévitablement chercher à renforcer sa coopération militaire avec ses alliés russes et chinois notamment". Pour lui, les relations déjà "belliqueuses" entre Alger et Rabat ne devraient pas s'estomper dans le court terme, d'autant plus qu'Israël va poursuivre son offensive diplomatique pour mettre la pression sur l'autre voisin de l'Algérie, la Tunisie, pour la normalisation de leurs relations.