Par : Pr Yahia Dellaoui Chef du département de pharmacie Faculté de médecine d'Oran Fascinées par le modèle de formation occidental, nos facultés n'ont pas toujours su repenser leur programme et leur finalité. La vieille Europe, qui se cherche encore dans ce domaine, nous a, d'une certaine manière, empêché de donner naissance à un enseignement pharmaceutique intégré à notre milieu. En 1971, les facultés mixtes de pharmacie et de médecine furent dissoutes et remplacées par trois instituts ayant pour mission d'organiser les enseignements et d'assurer la formation en vue de l'obtention des diplômes donnant accès aux diverses professions médicales, dont la pharmacie fait partie. Très souvent – et il est malheureux de le dire – les étudiants qui se lancent dans les études de pharmacie ne le font pas par vocation : les critères de ce choix sont bien vagues et conditionnés par des facteurs divers, plus souvent subjectifs qu'objectifs. Dans ces conditions, ceux qui font pharmacie, alors que peut- être ils devraient faire autre chose, vont traverser le cycle des études avec une attitude passive ; ils vont subir un enseignement, s'en imprégner superficiellement pour pouvoir être repêchés aux examens et terminer sans vocation ni formation professionnelle bien précise. Après des tentatives dans des secteurs d'activité de haute technicité, la plupart de nos jeunes pharmaciens, alors conscients de leurs lacunes, vont se rabattre sur l'officine, solution de la moindre utilisation d'un diplôme dont ils doutent alors du sérieux et de la finalité. Il faut ajouter enfin à ces facteurs une insuffisance des structures d'accueil ; nous ne pouvons pas dire que l'industrie pharmaceutique soit florissante chez nous ou que des laboratoires couvrent tout le territoire. En effet, au niveau de la conception du médicament (recherche, synthèse, fabrication) la tâche reste immense ; nous sommes encore très largement tributaires de l'industrie étrangère. Au niveau de la biologie clinique, des lacunes sont très graves ; seuls les grands centres ont une couverture biologique suffisante pour faire face à toutes les exigences de la chimie moderne. C'est au vu de ce bilan que l'on doit étudier les corrections et les améliorations à apporter à la profession. Fascinées par le modèle de formation occidental, nos facultés n'ont pas toujours su repenser leur programme et leur finalité. La vieille Europe, qui se cherche encore dans ce domaine, nous a, d'une certaine manière, empêché de donner naissance à un enseignement pharmaceutique intégré à notre milieu. Mais tous les universitaires algériens ne sont pas résignés. Bien au contraire. Ils sont en train de réfléchir à la réforme des programmes. Ils cherchent à établir une adéquation entre les besoins réels de notre pays avec le profil du pharmacien. En effet, le jeune pharmacien qui achève ses études se trouve confronté à des problèmes concrets auxquels il n'a jamais été préparé : problèmes de gestion, problèmes psychologiques spécifiques à notre population, problèmes d'insertion dans l'équipe médicale à l'hôpital, problèmes liés à l'exercice de la profession dans des milieux déshérités, etc. Il s'agit donc d'avoir l'audace d'entreprendre, dans une première étape, une vaste campagne de consultation qui donnerait voix au chapitre à tous ceux qui peuvent formuler des idées nouvelles, capables de rapprocher davantage le pharmacien des réalités de son environnement Algérien. Faut-il continuer à enseigner un programme appris dans les facultés européennes qui ne correspond en aucun cas à notre pathologie ? Faut-il dispenser des cours magistraux alors que dans certains pays des ateliers de rcherche et de réflexion ont pris le pas sur les amphis du début du siècle ? Faut-il délivrer un diplôme unique de pharmacien pour des étudiants qui n'ont pas suivi le même cursus en Algérie ? Faut-il laisser en suspens, à titre d'exemple, des travaux de thèses finalisées, soutenables et validées ? Si la formation continue devient une nécessité absolue pour toute personne assumant une responsabilité au sein de la santé publique, en particulier, la formation des cadres au niveau de l'université doit elle-même évoluer afin de s'adapter aux besoins de la société. Les problèmes On peut dire, sans risque de se tromper, que le pharmacien sortant de la faculté éprouve des difficultés énormes à assumer ses responsabilités, quel que soit le domaine d'activité qu'il a choisi pour faire sa carrière. Ce qui montre qu'actuellement, les études de pharmacie n'ont pas pour finalité de donner aux étudiants un métier, mais plutôt une formation de base qui est supposée suffisante pour permettre au futur diplômé d'exercer son art dans les différents domaines où il est réputé apte à exercer. Cette situation est le résultat du fait que, formés à l'étranger ou dans notre pays selon un modèle étranger, nos jeunes confrères acquièrent une formation qui, le moins que l'on puisse dire, ne répond pas à nos besoins. J'irais même jusqu'à dire qu'elle ne répond plus aux besoins du pays que nous avons pris pour modèle, car ce pays est en train d'étudier la réforme de ses propres études de pharmacie. Historiquement, les pharmaciens de l'ancienne génération ont été formés en France selon un modèle qui a été depuis modifié, voilà une trentaine d'années. Le cursus des études de pharmacie commençait par une année de stage obligatoire dans une officine, sous la responsabilité d'un maître de stage. La dernière année des études devait permettre à la faculté de juger, à travers les examens définitifs, de l'aptitude de l'étudiant de 6e année, à exercer sa profession de pharmacien, et ce, en s'assurant de ses niveaux de connaissances, tant sur le plan théorique que pratique. Le développement extraordinaire des connaissances scientifiques et la nécessité d'inclure dans les programmes d'enseignement, de manière continue, les nouvelles acquisitions scientifiques et techniques, faisait obligation, comme c'est le cas de nos jours, aux autorités administratives et universitaires de mettre au point des réformes touchant aux études de pharmacie. Il est bien clair que la réforme adoptée en France a sacrifié le côté "formation professionnelle du pharmacien" au profit de sa formation scientifique, car elle avait pour objectif de préparer les futurs diplômés à une carrière de spécialistes qui, en fait, n'était l'apanage que d'un nombre relativement restreint de diplômés. La majorité de nos jeunes confrères, surtout dans notre pays, se destinait à exercer en officine, qui se trouve être la première priorité pouvant répondre aux besoins de notre population. Il est en effet indéniable que, dans les 20 premières années d'indépendance, c'est l'activité de pharmacien d'officine qui a absorbé l'écrasante majorité des pharmaciens. Les difficultés Je citerais quelques exemples pour illustrer les difficultés qui existent actuellement pour les jeunes confrères pour affronter leur métier. Un diplôme unique Dans le cas de l'officine, le jeune diplômé n'est pas suffisamment formé pour affronter les difficultés d'installation, car il ignore tout des problèmes financiers et de gestion qu'il est obligé de résoudre pour pouvoir s'installer. Il se trouve complètement désorienté par des informations souvent contradictoires qu'il recueille auprès de différentes personnes : confrères aînés, banques, grossistes, administration... De plus, ignorant en général les notions inhérentes à la gestion des stocks de médicaments, il se trouve contraint de chercher un collaborateur qualifié pour l'aider dans cette tâche, ce qui est de nature à lui créer des difficultés, du reste légitimes avec un confrère aîné, qui voit d'un mauvais œil qu'un jeune pharmacien vienne lui débaucher son personnel, en infraction aux règles de déontologie pharmaceutique. Le problème le plus grave résulte incontestablement du fait que les facultés délivrent un diplôme unique à des étudiants qui n'ont pas suivi le même cursus. L'unicité du diplôme devra en réalité correspondre à une unicité de formation. Le deuxième exemple que je citerais est celui des jeunes confrères qui s'orientent vers la carrière de la pharmacie hospitalière que nous devons, pour beaucoup de raisons, développer en Algérie pour la rendre plus attrayante pour les jeunes diplômés. Malheureusement, le pharmacien diplômé sortant de la faculté se trouve complètement désorienté lorsqu'il est affecté dans un poste hospitalier. Il se trouve à l'hôpital comme "un corps étranger". Ce problème n'existe pas pour les jeunes médecins, qui ont été placés en stage en milieu hospitalier dès la fin de l'externat. Si on examine la situation des confrères étrangers qui ont suivi les mêmes études, on s'aperçoit qu'ils ont l'obligation, pour suivre la carrière hospitalière, de passer par l'internat, ce qui leur permet d'apprendre leur métier à l'hôpital. Par ailleurs, les facultés de pharmacie françaises ont déjà corrigé cette insuffisance de la formation en instituant, depuis quelques années, un stage hospitalier obligatoire pour tous les étudiants en pharmacie, à partir des premières années de formation. Enfin, pour ce qui est de l'ouverture de l'enseignement pharmaceutique sur l'industrie, il faut aussi constater que la réforme n'a pas donné les résultats escomptés, et ce, pour deux raisons essentielles qui sont inhérentes à l'industrie. En effet, les sociétés qui fabriquent des médicaments répugnent, en général, à recevoir des stagiaires, ou si elles en reçoivent, les cantonnent dans des activités de recherche qui leur sont en général "inutiles", sauf s'ils ont la chance d'être recrutés par ces mêmes entreprises. Par ailleurs, on peut constater, malheureusement, que pour les tâches de production et de contrôle, les industriels du médicament préfèrent recruter des ingénieurs qui sont mieux préparés que les pharmaciens pour les tâches de production, ou les scientifiques qui sont plus spécialisés que le sont les pharmaciens, dans l'utilisation pour le contrôle de médicaments de techniques et d'appareillages de plus en plus sophistiqués. Après cette étude critique sommaire de la situation, il s'agit pour nous d'étudier les voies et moyens nous permettant de proposer une réforme des études en vue d'améliorer la formation des pharmaciens dans notre pays. Méditons ensemble cette affirmation d'Einstein : "L'imagination est plus importante que la connaissance."