Sujet de recherche depuis plusieurs années pour Ouaras, professeur de sociolinguistique et d'analyse du discours à l'université d'Oran 2 qui a eu à diriger ce numéro, la pratique du graffiti, longtemps considéré en contexte nord-africain "comme simple gribouillage et/ou simple exutoire dans les espaces publics", est pourtant un vaste et riche champ d'études. Les graffitis, ces écrits muraux réalisés par des artistes anonymes et que l'on voit de plus en plus dans nos villes, sont le sujet de l'étude menée par Karim Ouaras et les universitaires Hadjer Belhamidèche, Réda Sebih et Wafa Bedjaoui entre autres pour la revue Insaniyate, dans un double numéro paru en 2019 à l'occasion du 23e anniversaire de la revue. Sujet de recherche depuis plusieurs années pour Ouaras, professeur de sociolinguistique et d'analyse du discours à l'université d'Oran 2, la pratique du graffiti, longtemps considéré en contexte nord-africain "comme simple gribouillage et/ou simple exutoire dans les espaces publics", est pourtant un vaste et riche champ d'études. "Eu égard à l'importance que ces actes langagiers revêtent et les bouleversements sociopolitiques, linguistiques et culturels qu'ils mettent en scène", écrit Ouaras, les contributions de ce numéro "visent à retracer les conditions d'émergence et les trajectoires du graffiti" dans les villes d'Oran, Mostaganem, Tlemcen, Alger, Tizi Ouzou, au Maroc et en Egypte, au travers aussi de lieux et contextes bien particuliers. Dans son étude intitulée "Le graffiti à Oran : une pratique langagière régulatrice du 'chaos urbain' ?", Karim Ouaras voit en cet art urbain "une pratique socio-langagière qui participe à réguler les espaces habités". Les graffeurs anonymes adoptent des "stratégies discursives qui consistent à dire ces espaces et à se dire dans ces mêmes espaces en plaçant le fait langagier dans une logique d'action et d'interaction". Dans la ville de Mostaganem, Ouaras et Hadjer Belhamidèche, auteurs d'une étude à quatre mains titrée "Les inscriptions murales et leurs fonctions dans la ville de Mostaganem", avancent que le graffiti est un canal de "communication sociale qui se révèle à travers un arsenal linguistique, figuratif et discursif mobilisé pour injecter du sens dans l'espace public". Et même s'il est considéré comme un acte d'incivisme et de vandalisme, pour les graffiteurs "c'est un médium discursif permettant d'occuper l'espace public en lui donnant du sens". Les universitaires ont aussi interrogé des usagers de la ville, qui sont l'instance réceptive dans le contexte de cette étude. Les avis sont partagés par les citoyens, mais beaucoup considèrent le graffiti comme un acte d'incivisme et un "langage de provocation", voire "insultant", quand d'autres reprochent aux graffiteurs l'utilisation de la langue française. Wafa Bedjaoui, de l'université d'Alger 2, a mené sa recherche dans des quartiers populaires algérois Bourouba, Bentalha et La Madrague à travers une observation empirique. Son enquête révèle que les thèmes dominants dans ces modes d'expression urbains sont la société (39%), le sport (35%), l'identité (13%) ou encore la sensibilisation (5%). Les langues usitées par ailleurs sont dominées par le français (45%), l'arabe algérien-français (16%) et en troisième position l'arabe institutionnel (9%). Loin des quartiers populaires cette fois-ci, Mohammed Zakaria Ali Bencherif s'est intéressé au graffiti en contexte de Hirak. Le chercheur tente d'interroger "les dynamiques socio-langagières et socio-discursives qui mettent en mur et qui se manifestent à leur tour comme un contre-pouvoir face aux différentes formes de discriminations", déclare-t-il. Pour Bencherif, "la présence notable des graffiti en tant que trace visible a rendu, en effet, lisible ce hirak (la voix du peuple), non seulement à travers des mots mais aussi à travers des formes langagières diverses et originales".
Yasmine Azzouz Insaniyate, revue algérienne d'anthropologie et de sciences sociales, numéro-double 85° 86°, CRASC, Oran décembre 2019. 500 DA.