C'est dimanche dernier, en milieu d'après-midi, que le premier coup de manivelle de Ath Yenni, paroles d'argent, un film documentaire du confrère Arezki Métref, a été donné au niveau de l'ex-Office du tourisme du village de Mammeri. Un acte symbolique (séquence mettant en scène un jeune artisan affairé à manipuler ses bijoux) et qui a vu la participation des autorités locales, à leur tête le chef de daïra de la localité et nombre d'autres conviés, principalement les acteurs du mouvement associatif local et notabilités. Aussitôt ce cérémonial exécuté, Arezki Métref a eu, surtout, à solliciter la contribution du mouvement associatif et autres personnalités de la localité, sans lesquels son travail ne saurait être réalisé tout en éclairant certains points soulevés par l'assistance ayant trait principalement au mobile du film et au choix du lieu. Par ce film, le talentueux chroniqueur et reporter affirme vouloir mettre en exergue les bouleversements que connaît le pays à travers les mutations qui le traversent dans un double sens inverse paradoxal, le retour aux sources et l'ouverture débridée. Il s'agit, poursuit-il, par dire, d'essayer de comprendre à la fois comment vivent les vieux, l'intrusion de valeurs nouvelles et déstabilisantes et les jeunes le recul de ces mêmes valeurs face aux nouveaux outils de télécommunication : Internet, téléphone, satellites, entre autres. Mais pourquoi le choix d'Ath Yenni comme microcosme à ce travail qui se veut une description de la lutte que mènent les valeurs du passé au tourbillon du présent avec tout ce qu'il charrie de nouveaux moyens ? À cette question qui était très loin de le gêner, l'auteur étant natif de la localité du village d'Agouni-Ahmed plus précisément, il réplique tout sourire : pourquoi pas Ath Yenni ? Il s'y expliquera aussitôt en convoquant l'histoire, en se référant, d'abord, à l'illustre Ibn Khaldoun qui a cité les Ath Yenni comme étant une tribu des Zwawas les plus marquantes, habitant un territoire reconnu déjà au XVe siècle comme un ensemble remarquablement urbanisé pour cette lointaine époque. Ensuite, Arezki Métref cite Emile Carrey, un reporter ayant accompagné l'ascension de l'armée coloniale dans le massif du Djurdjura et à laquelle les Ath Yenni ont opposé, en artisans armuriers et agricultureurs aguerris qu'ils étaient, une farouche résistance, qui rapportait que la défaite de ce foyer lumineux et inviolé de l'indépendance kabyle devait avoir pour effet moral un retentissement dans l'Algérie entière. Il expliquera aussi la mutation vers l'artisanat du bijou imposée par les colons qui interdisaient la fabrication des armes et la production de la fausse monnaie par laquelle les Ath Yenni ont mis en péril l'économie de la régence ottomane. Ces derniers deviendront de prestigieux bijoutiers qui font jaillir de gracieuses fleurs de joaillerie, pour reprendre M. Rémond. Vint la rapide implantation des écoles françaises dans la localité qui, en permettant une scolarisation massive, a fait émerger très tôt une élite de lettrés et nombre d'instituteurs qui feront office de trait d'union entre la culture traditionnelle des Amusnawen et des sages et celle des lettrés que l'illustre Mammeri nommait une valeur purement instrumentale de détenteur d'une technique de conservation. Entre tradition et modernité, qu'est-il advenu de Ath Yenni et, par extrapolation, de l'Algérie entière ? Comment est vécue cette intersection, cette dualité ? À plus forte raison que la région, comme tout le pays entier, vit au rythme de la détérioration du climat socioéconomique, à l'origine de mutations profondes qui mettent en danger un équilibre de toujours par l'induction de valeurs subversives pour la cohésion séculaire des rapports sociaux. Interrogations auxquelles ce film tentera de répondre le plus objectivement possible à travers les diverses facettes du vécu quotidien des Ath Yenni ? (art culinaire, agriculture, artisanat, élevage) et les témoignages et autres interventions de citoyens simples mais aussi d'intellectuels de divers bords. Le film nécessitera huit semaines de tournage étalées sur une année, aussi bien à Ath Yenni qu'à Alger et Paris où est établie une assez forte diaspora locale. Il contiendra une fois finalisé, au minimum deux épisodes de 52 minutes chacune et peut-être plus en fonction de la matière disponible. Assirem K.