Quand Paris brûle c'est toute l'Europe qui a la fièvre. Normal, la France est un des plus importants membres de l'UE et la première destination politique mondiale. Survenus à quelques semaines de la crise de l'émigration subsaharienne mise en lumière dans le désert du Maroc, ces évènements posent dans toute sa cruauté la question de l'intégration des populations venues du Sud pour s'établir en Europe où vivent 15 millions de musulmans. Aujourd'hui, l'Europe s'interroge sur ses ratés d'intégration de ces immigrés arrivés en majorité lors de ce qu'on appelle les Trente glorieuses, c'est-à-dire les 30 années de développement qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Les premiers immigrés, trop ravis de trouver un travail qu'ils n'avaient pas dans leur pays d'origine, n'étaient pas très regardants sur les conditions de leur accueil. Leurs petits-enfants réclament aujourd'hui plus qu'un salaire d'ouvrier et une vie dans un ghetto. En Italie, le chef de l'opposition de centre-gauche et ancien président de la Commission européenne, Romano Prodi, a ainsi estimé que l'embrasement des banlieues déshéritées n'était “qu'une question de temps”, car les périphéries de la péninsule “sont les pires d'Europe”. Ces propos ont cependant été jugés “alarmistes et catastrophistes” par la majorité au pouvoir. “Les banlieues italiennes ont des problèmes, mais ils sont totalement différents”, a affirmé le chef de la diplomatie Gianfranco Fini. L'inquiétude semble moins marquée aux Pays-Bas, où selon un sociologue cité lundi par le quotidien Trouw, “le fossé entre les jeunes et la police est moins grand (qu'en France), car la police investit dans les contacts avec eux”. Le chômage, la discrimination, le manque d'avenir et l'islamisme sont certes présents aux Pays-Bas mais la petite taille des villes et des différentes populations font la différence, estime de son côté Han Entzinger, un universitaire spécialiste des questions d'immigration dans le quotidien Algemeen Dagblad. En Allemagne, où quelques incendies de voitures sporadiques ont été relevés depuis samedi soir à Berlin et à Brême (nord), le risque d'un embrasement urbain est également jugé moins élevé qu'en France car “nous n'avons pas chez nous ces immenses grands ensembles immobiliers”, a souligné le ministre désigné de l'Intérieur Wolfgang Schäuble dans le quotidien populaire Bild d'hier lundi. “Pourtant, chez nous aussi se développent des quartiers avec beaucoup d'étrangers, qui s'isolent de plus en plus du reste de la société”, a nuancé le ministre. Comme M. Schäuble, le porte-parole adjoint du gouvernement a mis l'accent lundi sur la nécessité d'améliorer la politique d'intégration des immigrés, en développant en particulier l'apprentissage de la langue allemande. Un sujet d'autant plus important, selon le quotidien Frankfurter Allgemeine, qu'un quart seulement des adolescents turcs de 15 ans établis en Allemagne maîtrisent la langue de Goëthe, alors que les trois quarts y sont nés. “Un jour, on aura ici, dans les quartiers à forte concentration étrangère, la même situation qu'en France”, a prédit au regard de ces chiffres un haut responsable gouvernemental lors de la présentation la semaine dernière d'une étude sur le niveau de connaissances des élèves allemands. En Espagne, le grand quotidien El Pais estimait hier que le royaume était pour l'instant à l'abri de telles émeutes “parce que la grande augmentation de l'immigration a coïncidé avec un boom économique et la nécessité de pourvoir des emplois dont les Espagnols ne voulaient pas”. Le fait qu'une grande partie de ces immigrés “viennent de pays de langue espagnole et de culture chrétienne facilite leur intégration”, ajoute l'éditorialiste du quotidien. Au Royaume-Uni, “nous avons fait face à cette situation il y a quelques années, quand la police a commencé à prendre des mesures sévères”, a rappelé hier le Premier Ministre, Tony Blair, en référence aux dernières émeutes d'importance à Bradford (Nord) en juillet 2001, quand des affrontements entre jeunes d'origine indienne et pakistanaise et forces de l'ordre avaient fait une centaine de blessés. En Belgique, où cinq voitures ont été incendiées dans la nuit de dimanche à lundi, des spécialistes cités par la presse estimaient que le dispositif d'intégration des immigrés est plus performant qu'en France. “En Belgique, on ne trouve pas ou peu de ces immenses ensembles de barres et de tours en périphérie des villes comme en France. Mais cela ne veut pas dire qu'il n'existe pas de quartiers dits “sensibles” dans les centres-villes”, explique dans le quotidien La Libre Belgique, le criminologue Michel Born. “Les frustrations, le désespoir, la colère ne se développent pas seulement à l'ombre des tours et des barres”, ajoute-t-il. À la menace d'Al-Qaïda vient s'ajouter celle de la “racaille”. L'Europe a peur. Y. K.