Plus de dix jours après le début de la grève de la faim de certains détenus du Hirak, leurs avocats interpellent le ministre de la Justice. En décidant "administrativement" du transfèrement de ces détenus vers d'autres prisons, Abderrachid Tebbi "assume la responsabilité d'une violation de la loi", estiment-ils. Pour s'enquérir des conditions de détention de leurs mandants, deux des avocats des détenus, Abdellah Haboul et Saïd Zahi, se sont déplacés dimanche aux prisons de Bouira et de Berrouaghia (Médéa). Dans des témoignages fournis hier à Liberté, les deux juristes décrivent des détenus "déterminés" malgré des conditions de détention "insupportables". À Bouira, les prisonniers transférés d'Alger "ont été placés dans l'aile réservée aux condamnés à mort", rapporte Saïd Zahi, qui évoque le "manque de chauffage" et l'"isolement carcéral" dans lequel se trouvent les détenus. Au-delà de cette situation, les avocats mettent le curseur sur l'aspect moral de l'affaire. Ils estiment, en effet, qu'en prenant la décision de transférer les détenus en dehors d'Alger, le ministre de la Justice, Abderrachid Rebbi, "a une responsabilité juridique, politique et morale". Selon Abdellah Haboul, défenseur de plusieurs de ces "prisonniers d'opinion et politiques", leur transfèrement est "illégal" en vertu du code de l'organisation pénitentiaire, qui stipule dans son article 64 que "la grève de la faim est un droit". Mais le ministère de la Justice "a violé cette loi", insiste Abdellah Haboul, qui relève de "graves dépassements". À commencer par "des pressions" exercées par l'administration de la prison d'El-Harrach pour dissuader les détenus d'arrêter de s'alimenter. Puis, dans un premier temps, l'administration avait "refusé" d'enregistrer le recours à la grève de la faim. Pis encore, "certains détenus ont été maltraités", révèlent les deux avocats, qui précisent que des plaintes vont être déposées. Pour Saïd Zahi, le transfèrement d'un détenu qui n'est pas encore condamné "est illégal". "C'est de la double peine pour des détenus qui vivent déjà la détention préventive comme une punition pour des actes qu'ils n'ont même pas commis", appuie le juriste. "Et puis, pourquoi les transférer puisqu'ils ont le droit de faire une grève de la faim", s'interroge Abdellah Haboul. Le plus grave dépassement relevé par les deux avocats est que "le transfèrement des détenus s'est fait sans l'information des familles, des avocats et surtout du juge". "Les détenus sont sous la responsabilité du juge d'instruction. C'est lui qui les a mis en détention. Or, le juge n'a même pas été informé", a révélé Saïd Zahi, qui dit avoir saisi le président du tribunal, le président de la cour d'Alger et le Conseil de l'Ordre des avocats pour dénoncer "une violation de la loi". "Il est où l'Etat de droit si l'Etat ne respecte pas la loi ?", s'interroge Abdellah Haboul. Entamée le 27 janvier dernier, la grève de la faim des détenus "politiques" s'élargit. Ils sont "entre 80 et 100 prisonniers" à refuser de s'alimenter "dans 33 wilayas", indiquent les avocats. "Les détenus veulent confirmer qu'ils sont en prison pour des motifs politiques et réclament un procès équitable. Ils veulent également rappeler que leur détention préventive est anormalement longue", a énuméré Abdellah Haboul. "Leurs dossiers sont vides. Leur maintien en détention préventive est également injustifié puisqu'aucune enquête n'est en cours. Ce sont des dossiers vides, liés à des déclarations", ajoute Saïd Zahi. "Nous récusons catégoriquement l'existence de poursuites liées à ce que les autorités appellent l'injure et l'insulte. La plupart des détenus sont accusés d'appartenance au Hirak", précise Abdellah Haboul.
Ali BOUKHLEF L'Observatoire euroméditerranéen des droits de l'Homme dénonce "une décision punitive" ■ Dans un communiqué de presse, l'Observatoire euroméditerranéen des droits de l'Homme juge que le transfèrement des détenus grévistes de la faim hors d'Alger est "une punition" prise "en dehors de la loi". "La répartition des grévistes de la faim dans des centres de détention punitive est une procédure illégale car ils n'ont pas encore été traduits en justice. La loi algérienne stipule que les détenus doivent être maintenus dans les centres de détention jusqu'à ce que des sentences soient prononcées contre eux pour être transférés dans des centres de détention punitifs", dénonce Youssef Salem, chercheur juridique à EuroMed Monitor, cité dans le document. "Le gouvernement algérien doit libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes détenues en lien avec la liberté d'opinion, d'expression et de réunion pacifique, et mettre fin à sa politique de détention arbitraire visant à réduire au silence et à intimider les militants de l'opposition", ajoute le communiqué de l'Observatoire.