Chef du service de néphrologie à l'hôpital de Thenia et coordinateur Covid au sein de la même structure hospitalière, le docteur Louni Makhlouf livre, dans cet entretien, les détails d'une lutte acharnée contre la pandémie de Covid qui dure depuis plus de deux ans. Liberté : La pandémie de Covid-19 a, dès son apparition, pris de court tout le monde, en premier le personnel soignant. Comment avez-vous réagi pour gérer une telle situation ? Dr Louni Makhlouf : Au début de la pandémie, on ne pensait pas que cela allait durer aussi longtemps, car on ne connaissait pas ce virus. Le premier patient hospitalisé à l'EPH de Thenia avait fait peur à tout le monde. Il a fallu créer dans l'urgence un service au sein de l'hôpital pour la prise en charge des patients atteints de cette pathologie. C'était aussi la ruée vers les moyens de protection, la peur de contaminer nos proches. Nous habitions dans des chambres d'hôtel de peur de rentrer chez nous et nous sommes restés loin de chez nous pendant presque une année. Après, nous avons commencé à connaître peu à peu ce virus. Nous avons eu des protocoles de soins et nous offrions des solutions à nos patients, mais le nombre de décès dans la corporation faisait peur. Il fallait pourtant se battre, ne pas baisser les bras et être sur le front alors que dans la rue, les gens étaient laxistes et semblaient même ne pas croire à l'existence du virus. Maintenant, ce n'est plus la peur de la Covid, mais c'est plutôt la fatigue et aussi le fait de se dire quand cela va-t-il s'arrêter et quel prix faudra-t-il encore payer. Vous avez été au front pendant plus de deux ans. Comment avez-vous vécu les quatre vagues successives de la pandémie ? Quel est votre sentiment et dans quel état d'esprit êtes-vous aujourd'hui ? La première vague est survenue presque un mois après avoir sévi en Europe. La peur que le même scénario ne se reproduise chez nous nous faisait froid dans le dos. Les premiers temps, d'ailleurs, nous avons été confrontés à un problème d'ordre organisationnel. Il fallait mettre rapidement en place les équipes, les moyens de protection, ainsi que le service qui allait être dédié aux patients atteints de Covid. Des instructions de notre tutelle nous parvenaient, au fur et à mesure de l'évolution de la pandémie, pour nous y adapter. Cette situation a duré presque deux mois. Durant la deuxième vague, contrairement à la première, nous étions mieux préparés et plutôt bien organisés. Le service dédié au suivi des malades atteints de Covid à l'EPH de Thenia a été doté d'équipes médicales spécialisées. Tous les équipements nécessaires pour une prise en charge médicale efficace ont été mis à disposition des soignants. Nous avons comptabilisé, durant cette période de la pandémie, 25 à 30 scanners réalisés par jour. Idem pour ce qui est du laboratoire de l'hôpital, avec la réalisation de beaucoup de tests PCR. La réanimation Covid est, en ce qui la concerne, composée de 11 lits avec respirateurs. 130 lits ont été également mobilisés pour les hospitalisations. La troisième vague est arrivée en plein été ; elle a été extrêmement tendue et pénible. Elle a coïncidé avec la saison estivale. Elle n'a pas été de tout repos. Le variant Delta qui a marqué cette vague a été le plus virulent et d'ailleurs il a laissé son empreinte de par les décès qui ont été dénombrés. Elle a également impacté lourdement le personnel soignant et administratif au sein des structures hospitalières, où nous avons enregistré un nombre record de contaminations, en sus d'une pression accrue sur l'oxygène. Le personnel était à bout de souffle après une année et demie sans congé ni repos, alors que les consultations dépassaient de loin les 200 par jour. La quatrième vague, quant à elle, a débuté fin novembre 2021 et n'a pas laissé de répit au personnel de l'hôpital. Cependant, je crois que contrairement aux précédentes, elle a été bien gérée. Cela a été rendu possible par l'expérience acquise par les soignants, puis au taux de vaccination appréciable qui a fait que nous n'avons pas ressenti une très grande pression par rapport à la troisième vague. Le corps médical qui a été au front n'a évidemment pas échappé aux contaminations. Quel a été l'impact de la pandémie sur les personnels du secteur ? Sur les deux ans et demi de lutte contre cette pandémie de Covid, je peux vous assurer que 50% du personnel de santé de l'hôpital de Thenia a été infecté par le virus, mais à des degrés différents. Les équipes de réanimation et de médecine, celles du laboratoire et du service de radiologie n'ont pas pris de congé ni de repos depuis deux ans. Nous avons, durant toute cette période, pleuré des collègues, des amis, des proches, mais le combat continue car sauver des vies est non seulement notre mission, mais notre raison d'être et notre combat de tous les jours. Le plus dur, maintenant, c'est de se dire quand cela va s'arrêter. Il s'agit également de gérer le post-Covid, le ras-le-bol et le burn-out du personnel soignant. La prise en charge des malades souffrant d'autres pathologies, en l'occurrence, les maladies rénales, l'hypertension, le diabète, doit être aussi reconsidérée après deux années d'oubli. Quel commentaire faites-vous face à la réticence à la vaccination y compris celle du personnel de la santé ? La vaccination était une véritable bouée de sauvetage pour le personnel soignant c'était la bouffée d'oxygène tant attendue. Malheureusement au bout de plusieurs campagnes de sensibilisation au profit du personnel de l'hôpital pour se faire vacciner, le résultat ne suit pas et le personnel reste toujours réticent à la vaccination. On a dit des contrevérités et même inventé des mensonges sur l'efficacité du vaccin, au moment où nous, les soignants, étions les premiers à constater les décès qui s'enchaînaient et les patients admis en réanimation, qui étaient pour la plupart non vaccinés. Je ne prétends pas qu'en étant vacciné on ne peut pas être touché. Moi-même, j'ai été infecté par le variant Omicron, alors que je suis vacciné, j'ai reçu les trois doses du vaccin. Cependant, j'ai continué à travailler car pour moi, la maladie a ressemblé à un rhume.