Sollicité pour donner un éclairage sur la crise ukrainienne et ses éventuels développements, notamment dans la région, ainsi que sur les intentions du président Poutine, le Dr Arslan Chikhaoui, spécialiste en géopolitique, évoque trois scénarios possibles pour l'issue de cette crise, latente depuis huit ans. Le président Poutine, selon lui, inscrit sa stratégie dans le prolongement de l'annexion de la Crimée en envisageant d'annexer le Donbass. "Il construit une forteresse stratégique à ses frontières avec l'Otan", estime l'expert. Car l'espace d'intérêt stratégique de la Russie est l'Europe et le Moyen-Orient. Ainsi, après avoir reconnu l'indépendance des séparatistes prorusses, Poutine a ordonné, lundi 21 février, à ses forces armées d'assurer le «maintien de la paix» sur les territoires du Donetsk et de Lougansk. Le premier scénario, pronostique le Dr Chikhaoui, est le statu quo. Avec le début des opérations russes contre l'Ukraine, ce scénario tombe à l'eau. Ce scénario était envisageable au début pensant à la stratégie de la "maskirovka" (camouflage) élaborée dans les années 1990 "selon laquelle un régime montre une manœuvre qui en cache une autre". Le second scénario est que l'armée russe prend possession de la totalité du Donbass. Ce qui vient de se passer avec l'entrée de l'armée russe au Donbass et l'offensive contre Kiev. Et, au-delà de la jonction qu'il veut faire entre le Donbass et la Crimée, Poutine vise le contrôle de la mer d'Azov. Une option qui impliquerait de conquérir la région de Zaporizhia, entre le Donbass et la Crimée, selon l'expert. "Ce qui paraît le plus probable c'est que Poutine avance morceau par morceau", dit-il. Enfin, troisième hypothèse : l'invasion de l'Ukraine et l'occupation de Kiev. "L'hypothèse est envisagée par les services de renseignement américains. La Maison-Blanche a évoqué, le 12 février dernier, la possibilité d'un assaut rapide contre Kiev, la capitale ukrainienne, qui n'est qu'à quelques dizaines de kilomètres de la Biélorussie, où l'armée russe mène présentement des manœuvres", indique M. Chikhaoui. Selon lui, ce scénario est le moins envisageable. Pourtant le président russe a opéré une combinaison entre les deux derniers scénarios, passant d'abord par la reconnaissance de l'indépendance de Donetsk et de Lougansk, où il dépêcha des troupes pour soutenir les séparatistes, avant de lancer l'opération contre l'Ukraine avec des frappes sur plusieurs fronts et une avancée des troupes au sol carrément sur Kiev. Théoriquement la négation de cette option est valable. "Aller jusqu'à Kiev avec des chars, c'est possible, mais occuper tout le pays serait une autre affaire. L'armée russe risquerait de se confronter à une guérilla qui serait soutenue par les Occidentaux. L'Otan n'a pas la possibilité d'intervenir militairement sur place, mais elle pourrait facilement soutenir une lutte armée", argue-t-il. Sur un plan strictement technique, a estimé Arslan Chikhaoui, en se référant aux experts militaires, de grandes manœuvres pourraient également être contrariées dans les prochaines semaines par la fonte des neiges qui recouvrent une bonne partie du pays : "Les leçons des campagnes de Russie et de Hitler montrent que, dans ces régions, une invasion n'est possible qu'à la fin du printemps. Sinon, les véhicules nécessaires pour conquérir l'Ukraine risquent de s'embourber." La guerre pourrait également se poursuivre sous des formes moins conventionnelles. "Il ne faut pas non plus oublier le scenario d'une multiplication des cyberattaques côté russe pour accentuer la situation économique très compliquée que vit l'Ukraine et la pousser à la faute", a-t-il conclu.