Près de 80 000 personnes dont 2 000 femmes, impliquées dans diverses affaires d'agressions, vols, trafic et consommation de stupéfiants, ont été arrêtées en 2004. Plus de 20 000 d'entre elles ont été écrouées. Ces chiffres, comparés à ceux enregistrés dans beaucoup de pays, sont loin d'atteindre le seuil critique mais assez éloquents pour susciter des inquiétudes sachant que la criminalité en Algérie est considérée comme un phénomène relativement récent. Il y a vingt ans, moins de 1/3 de ces chiffres était enregistré au niveau des services de sécurité. Bien que les raisons restent essentiellement liées aux facteurs chômage et échec scolaire, l'on ne peut toutefois occulter d'autres causes comme la déliquescence des valeurs chez la société algérienne à la recherche de ses repères perdus et les conséquences d'une décennie marquée par un terrorisme des plus cruels que l'humanité ait connu. Face à cette situation, la mobilisation des services de sécurité n'est pas une fin en soi quand on sait que le terrain est une autre réalité. Accompagnant les éléments du Gmac, nous avons, durant 48 heures, vécu cette réalité à travers les quartiers chauds de la capitale et de sa périphérie. Baraki-Les EuCalyptus, tristes souvenirs La Land Cruiser trouve du mal à rouler dans les ruelles de cette ville de seconde zone. À Baraki, la mémoire populaire dit qu'une voiture vieillit rapidement. Il faut dire que le réseau routier de cette commune est dans un piteux état. Un véritable gruyère que les premières pluies rendent impraticable. Nous subissons, quant à nous, les retombées d'un laisser-aller en faisant le vœu que les autorités locales aient un sursaut de conscience pour atténuer un tant soi peu le calvaire des contribuables. L'officier Khaled et son adjoint, l'adjudant Sebti, s'entendent à merveille. De véritables complices qui se comprennent d'un simple regard. Direction Diar El Baraka, l'un des plus anciens quartiers de la région où de tristes souvenirs sont marqués à jamais dans la mémoire collective. Dans les années 1990, ce quartier populeux, fait de maisonnettes collées les unes aux autres formant presque un bloc, constituait avec Bentalha, Djibolo, Ouled Allel et Raïs, un lieu sous le diktat des terroristes. Et même si à présent la peur s'est estompée, on ne peut éviter de lire dans certains regards la méfiance d'hier. Des messages qui en disent long sur ce qu'a enduré une population tournée aujourd'hui vers un autre fléau : la drogue. Après le terrorisme, voici le temps des stups. Le chef de Sûreté de daïra, le commissaire Khazmat, nous confie que ce quartier devait être rasé, une idée remise aux calendes grecques à cause du terrorisme. On évoque le chômage et l'échec scolaire comme raisons principales. C'est justement dans ce même quartier que, récemment, les éléments du Gmac ont saisi 3 kg de kif. Une grosse saisie quand on sait que seules des plaquettes ou des feuilles de 200g sont courantes pour éviter de se faire remarquer. Le véhicule s'emballe et prend la direction des arrêts de bus. Tout le monde descend. Khaled et Sebti, tels des félins, ont déjà repéré les suspects qu'ils fouillent dès qu'ils les accostent. Les “sans-papiers” sont fréquents. Pour les policiers, c'est une méthode que les jeunes utilisent pour ne pas risquer de se faire ficher. Une ruse qui ne réussit pas souvent, car il arrive que la personne qui ne présente pas de carte d'identité soit emmenée au poste de police. Sebti répète la même recommandation : “Ayez toujours votre pièce d'identité sur vous.” À proximité d'un café, un repris de justice est interpellé. Il est quelque peu gêné. Il vient de sortir de prison pour une histoire de portable volé, nous disent les policiers. “J'ai tout simplement cassé le portable alors que j'étais en état d'ivresse”, rectifie-t-il. Pour le moment, il remplit bien sa mission d'indicateur. Le temps de le quitter, un jeune sur une “Air One” est arrêté. Il est en possession d'un cran d'arrêt qu'on saisit en l'invitant à se présenter à la Sûreté de daïra. “On le connaît. C'est un marchand ambulant mais une mise en demeure préventive est nécessaire”, nous explique-t-on. Il faut dire que la confiance ne règne pas dans ce métier même si l'expérience joue un grand rôle. On nous raconte l'histoire de ce sexagénaire de Kouba qui, à bord de sa R4, se met à la chasse des “Expert” qu'il visite grâce à des clés qu'il a lui-même fabriquées. “Pour mener à bien notre mission, il faut connaître tout sur tout le monde”, dira l'officier Khaled. Pour preuve, son adjoint Sebti avec son accent mi-kabyle, mi-algérois appelle un jeune homme au niveau des arrêts de bus de “5 doigts”, l'intersection la plus populaire des Eucalyptus. Un indicateur qui renseigne au mieux les policiers sur les activités des repris de justice du coin. Smicha, 1 600-logements et Houmet El Massih On demande des nouvelles de “Smicha” qui faisait des siennes il y a quelque temps. “Apparemment, il a quitté la ville car cela fait des mois que je ne l'ai pas vu”, répond le jeune homme. Nous entamons la RN8 mitée par les marteaux compresseurs. En ce temps de pluie, la traverser est une épreuve. Les travaux avancent à un rythme régulier, ce qui augure de l'ouverture prochaine de ce tronçon où la circulation crée des bouchons à n'en plus pouvoir. Après un repas chaud pris au niveau de la brigade, nous continuons notre tournée dans les quartiers de la circonscription. À “Houmet El massih” comme on l'appelait jadis à cause de l'imitation des Européens qu'adoptaient ses anciens habitants, nous marquons un arrêt. On nous fait savoir que beaucoup de choses ont changé ici depuis que la police a multiplié les descentes. Aux 1 600-logements, les policiers repèrent à l'entrée d'un immeuble un groupe de personnes qui sont aussitôt interpellées. Deux d'entre elles prennent leurs jambes à leur cou. Sebti se lance à leur poursuite. Dans la cage d'escalier, il tombe sur la moitié d'une “feuille de chira”. Au dernier étage de l'immeuble, la porte d'entrée est ouverte. On demande au jeune homme dans le couloir de sortir. En le fouillant, on trouve sur lui des psychotropes qu'il déclare être à lui. “Je suis malade et c'est mon traitement”, dit-il aux policiers. On l'embarque quand même car, selon les policiers, il s'agit certainement d'un dealer malgré son état. À proximité du café de la cité, un autre suspect est arrêté. Il cachait dans sa manche un cran d'arrêt. “Je vous assure que je ne sais pas ce qu'il fait là”, déclare-t-il. Le comble de l'ironie. Durant tout l'après-midi et jusqu'à la tombée de la nuit, ce sont les mêmes scènes qui se répètent. La vigilance n'est jamais de trop. B. Adlène note les dernières passations de consignes. C'est avec lui et son équipe que nous ferons la virée nocturne. Il est 17h30 quand nous quittons la sûreté de daïra de Hussein Dey à bord de la Corolla qui prend la direction de Kouba. Adlène, jeune officier des Gmac aurait pu faire une autre carrière. Avec un magistère en poche, il pouvait se faire embaucher dans une boîte avec un salaire beaucoup plus intéressant. Par amour du métier “Je suis venu dans ce corps de sécurité par amour du métier même s'il faut reconnaître que les choses ne sont pas toujours gaies”, fait-il remarquer. Avec ses deux collègues, notamment “el Harrachi”, ils forment un trio du tonnerre. La station de bus de Ben Omar est notre première escale. À peine arrivés, un receveur d'un bus privé est arrêté pour port d'arme prohibée (un cran d'arrêt). Il essaie de justifier cela par la légitime défense mais les policiers ne l'entendent pas de cette oreille. Il faut dire que le port d'arme blanche est devenu un phénomène naturel dans le milieu des jeunes. “El Harrachi” s'engage dans les ruelles de Ben Omar et se dirige vers le parc. À une encablure se trouve l'école Ben-Azzouz. On nous informe qu'une salle servant de débarras est exploitée par les délinquants. “Tard dans la nuit, cette salle devient un véritable diki où l'alcool et le sexe font bon ménage”, racontent des gens du quartier. Il est vrai que les objets trouvés sur les lieux ne plaident pas pour l'honneur de cette école dont cette partie semble totalement abandonnée. Trois personnes d'un certain âge nous demandent d'interpeller les élus locaux sur la question. Retour au parc : un groupe de jeunes dont une fille discute dans le noir. À notre vue, ils essaient de se disperser. Les policiers procèdent à une vérification d'identité. La fille tremble comme une feuille. Nous essayons de la rassurer en contrepartie de savoir ce qu'elle faisait avec ce groupe. Samah raconte qu'elle est née en France et qu'elle a quitté sa mère qui lui a enlevé ses papiers pour l'obliger à ne pas rentrer en Algérie. “j'aime ce mec”, dira-t-elle en montrant un jeune homme de 25 ans. Lui, il habite le quartier et il est issu d'une famille aisée. Sans pièce d'identité, on ne peut définir l'âge de la fille bien que son visage juvénile indique qu'elle n'est pas encore majeure. La racoleuse, Brad Pitt et Cervantès Quand les lumières des cités commencent à s'éteindre, le royaume des noctambules s'anime. Chaque coin sombre retrouve ses habitués. Le cimetière de Ben Omar n'échappe pas à la règle imposée par “les fumeurs”. on raconte que les voleurs se retrouvent souvent parmi les morts pour se partager le butin et y cacher les armes blanches utilisées dans les agressions. L'officier Adlène propose de faire un tour du côté de Cervantès, un quartier de Belcourt réputé pour la consommation et le commerce illicite de cannabis. En empruntant la grande rue de Kouba, deux vendeurs de cigarettes à la pièce font un signe aux policiers de s'arrêter. Ils venaient d'être agressés par deux jeunes en état d'ébriété. Ils leur ont volé de l'argent et des cigarettes. On les arrête. L'un d'eux refusant d'obtempérer est mis à terre d'une prise de judo exécutée par “El Harrachi”. On les dépose au poste de police le plus proche. À Cervantès, le kif traité a été déjà écoulé en attestent les rubans adhésifs laissés sur place par les dealers en fuite à la vue des voitures de police. Un jeune homme est arrêté en possession de psychotropes. Il jure par tous les dieux que c'est une prescription médicale. “Je suis sportif mais je fais des insomnies. Laissez-moi partir.” Il sera remis au poste de police de Belcourt. À Rouchai-Boualem, un groupe de personnes picole. Quelques berlingots de vin et des amuse-gueules montrent que la nuit sera longue. Un jeune homme accroupi nous regarde. En le fouillant, les policiers trouvent enfoui dans sa poche un “m'rioued” (1/4 de feuille de cannabis). Le jeune est d'une beauté exceptionnelle. Brad Pitt en personne. Avec ses manières loin d'être viriles, nous finissons par comprendre son rôle dans ce groupe de machos. Nous quittons le quartier de Belcourt pour rejoindre la gare routière du Caroubier. À notre arrivée, une jeune fille jaillit de l'ombre et traverse l'autoroute à grandes enjambées sans craindre les voitures roulant à grande vitesse. “Que faites-vous ici à l'heure qu'il est ?” interrogent les policiers. “J'allais rentrer chez une amie à Aïn Benian. Lâchez-moi s'il vous plaît !” Elle est embarquée. Dans la voiture, croyant avoir à faire à un responsable, elle nous demande de la laisser partir. Au poste de police, on trouve sur elle des billets de 200 DA cachés à l'intérieur des chaussettes et des préservatifs. “Une bonne chose qu'on pense à cela”, dira un des policiers. Une nuit pleine de rencontres insolites. Tout le monde trouve son compte mais la drogue fait des ravages parmi les différentes catégories de la société. Heureusement qu'une seule catégorie veille à la régulation en maintenant l'ordre pour tous les citoyens. Bravo le Gmac. A. F.