Ancien président d'Amnesty-Algérie, doyen de la Faculté d'Alger, le professeur en droit Madjid Bencheikh est formel : l'amnistie ne semble pas faire consensus dans les hautes sphères du régime. Et pour cause : la réconciliation qui doit être l'aboutissement de l'amnistie appelle à une ouverture mais dont le régime n'est pas disposé. “Les tergiversations du pouvoir autour de l'amnistie qui est au stade de projet, entouré de rumeurs, laissent transparaître qu'il y a des difficultés à arriver à un consensus car le régime doit répondre à la société”, estime-t-il. “La réconciliation se fait de telle sorte que le système tend à se renforcer et non pas à s'ouvrir”, ajoute-t-il. Dans une intervention fort remarquable hier lors de la conférence-débat organisée par le Front des forces socialistes (FFS) sur la réconciliation et l'amnistie générale au Centre international de presse (CIP) à Alger, Madjid Bencheikh a restitué les enjeux qui entourent le projet présidentiel sous son double aspect juridique et politique. “Ce silence autour du projet indique qu'on ne veut pas en débattre”, dit-il d'emblée face à un parterre de convives de divers horizons dont des avocats, des historiens, des représentants des familles de disparus, une représentante du NDI et des représentants de la fondation Matoub-Lounès ainsi que de nombreux militants du parti. S'il ne se montre pas particulièrement hostile à l'idée d'amnistie et de réconciliation, comme du reste beaucoup d'Algériens, Madjid Bencheikh n'en pense pas moins qu'il faut définir au préalable le concept d'amnistie. Dans ce contexte, il exclut l'éventualité d'intégration de l'amnistie fiscale dans le projet présidentiel. “Je ne pense pas qu'il y ait amnistie fiscale car s'inscrivant en faux par rapport à la lutte contre la corruption sans compter la réaction de l'opinion internationale”. Selon lui, l'amnistie qui est l'organisation légale du pardon, si elle venait à avoir lieu, viserait les auteurs des crimes (massacres, disparitions…) lors de la guerre civile, comme il la qualifie, qu'a connue le pays durant la décennie écoulée. Dans cet ordre d'idées, il estime que le régime n'aura pas de difficultés à l'organiser (l'amnistie, ndlr) sur le plan interne, en ce sens que la Constitution ne l'empêche pas et qu'il pourrait même procéder à la révision de celle-ci le cas échéant. Mais la difficulté pour les tenants du projet réside, à ses yeux, au plan international. “Le pouvoir peut amnistier mais le droit international sur lequel s'appuient les ONG s'y oppose. Je ne suis pas d'accord avec Ksentini (président de la CNCPPDH, ndlr) sur la question des disparus. Pour moi, les disparitions forcées ont obéi à une politique, et qu'à ce titre elles constituent un crime contre l'humanité”, soutient-il. Et que dit le droit international ? “L'amnistie vise à organiser l'impunité”, rappelle-t-il. Selon lui, le projet n'a de chance d'aboutir que si le pouvoir va à l'écoute des aspirations de la société, prend en charge le problème des familles et reconnaît les origines du conflit. “La réconciliation ne se décrète pas. Pour que l'amnistie aboutisse à une réconciliation, il faut l'ouverture d'un large débat, le règlement des problèmes socioéconomiques et la levée de l'état d'urgence”. Bencheikh, qui dit que l'amnistie et la réconciliation sont liées mais différentes, propose la mise en place, comme cela a été d'usage dans d'autres pays, d'une commission “vérité et justice”. “Mais pas comme le comité ad hoc qui est un comité administratif”, a-t-il ironisé. “Elle doit être composée de gens crédibles et qui peuvent enquêter”, a-t-il précisé. “Et le pouvoir doit tenir compte de ce travail”, a-t-il ajouté. Non d'accord avec Ben Bella qui veut faire accréditer son geste aux yeux des nouvelles générations, Bencheikh soutient que l'acte peut avoir des aspects négatifs, tout comme il s'étonne que Ksentini n'ait pas rendu le rapport aux familles des disparus. La justice est-elle possible après la vérité ? “Il faut intégrer la justice dans des objectifs politiques, il ne faut pas que ça soit une vengeance mais je doute que les autorités aient choisi cette perspective”. “Mais il faut une commission et l'ouverture de perspectives politiques”, a-t-il conclu. Peu avant lui, Karim Tabbou a estimé que “le projet fantôme vise à organiser le silence”. “La réconciliation doit se faire entre le peuple et l'Etat à travers la garantie de toutes les libertés”, a-t-il dit. K. K.