Les travaux de réfection ont redonné à cette merveille de l'Ouest, terrain de l'histoire des hommes, toute sa splendeur et sa brillance. Reportage. Autrefois vantée pour sa beauté, la corniche oranaise a littéralement disparu sous l'effet des constructions en tas qui s'agglutinent, rivalisant dans la laideur, et où harmonie, beauté et style sont bannis, sauf ces hangars occupant tous les rez-de-chaussée, symbole du trabendo et du commerce qui sont les seuls, en fait, à faire la loi. Le littoral a été comme mangé par cette urbanisation horrible et anarchique, jusqu'aux petites criques de la plage de cap Falcon qui ont vu leur espace se rétrécir, d'année en année, comme une peau de chagrin. Le sable et la mer se sont mis à avoir des reflets et des relents nauséabonds d'égouts qui s'y déversent allègrement et directement. Les plages également n'ont pas été épargnées par les pilleurs de sable, une “profession” très rentable. En fait, il n'y a plus qu'un endroit encore préservé et qui n'a pas subi la furie destructrice du béton. Le seul lien entre la mer et la terre dressé sur le point le plus élevé du cap, c'est le phare de cap Falcon. Témoin depuis plus d'un siècle de cette histoire des hommes, de la mer et de la terre. Sentinelle qui ne s'éteint jamais, vigile depuis les temps les plus reculés, le phare est cette merveille qui brille, scintille la nuit pour les égarés, ou tout simplement pour rassurer ceux qui, en mer, savent que jamais l'on ne peut tout à fait se fier à elle. Les marins le savent ; à l'heure du GPS, ils vous le diront, il n'y a rien de plus rassurant que de voir la lumière d'un phare balayant les eaux lorsque vous êtes en pleine mer, à la recherche de votre route, d'un passage, ou tout simplement pour se dire que, là-bas, au loin, c'est la terre, et se rappeler, alors, la maison, les enfants… Le phare de cap Falcon a cela de particulier. Il se trouve au bout d'une route carrossable de 5 km, après Aïn El Turck, sur le point le plus élevé de la côte, soit 105 m au-dessus du niveau de la mer. Tout récemment, des travaux de restauration ont redonné au phare toute sa splendeur, faisant apparaître la tour de forme octogonale telle qu'elle était lors de sa construction. C'est en janvier 1863 qu'ont été entamés les travaux de construction du phare. Travaux qui ne seront achevés qu'en 1868. Les bâtisseurs de l'époque, Barnier, Bernard, Turenne, dont l'immortalité a été assurée par une plaque de cuivre portant leurs noms et scellée à l'intérieur du phare ont mis près de 5 ans pour y parvenir, 5 ans pour ramener quelque 500 m3 de pierre de taille qui ont servi à ériger la tour qui sélève à 28 m du sol. En faisant face au phare, l'on ne peut s'empêcher d'imaginer ces hommes de peine, ouvriers courbant l'échine, tirant, soulevant ces pierres de taille. Aujourd'hui, la tour ressurgit dans toute sa splendeur, les travaux ont laissé apparaître les pierres blanchâtres de taille faisant 1,20 m d'épaisseur, que des couches de peinture successives d'années en années avaient caché et fait oublier la beauté de ces pierres chaudes et rugueuses. Les gardiens du feu Nous sommes accueillis sur place par le responsable régional de l'Office national des signalisations maritimes (Onsm) qui gère les 7 phares de l'Ouest algérien. En pénétrant dans la cour, nous découvrons au centre la tour de forme octogonale qui se dresse, impressionnante. Le gardien du phare, Azzedine, vient à notre rencontre. Ce jour-là, le vent est glacial et la pluie nous fouette le visage. Azzedine fait partie des 3 gardiens qui se relaient chaque semaine pour assurer le fonctionnement du phare de cap Falcon. Il fait partie de cette nouvelle génération de gardiens de phare qui vivent entre mer et terre. Les gardiens ont à leur disposition des petits logements et des commodités situés de part et d'autre du phare, à l'intérieur de l'enceinte. La vie du gardien de phare est rythmée par de menus travaux d'entretien et de maintenance. Et surtout s'assurer que le “feu” soit allumé dès le coucher du soleil et éteint au lever du soleil. Azzedine nous précède dans la cour du phare. Ce sont 104 marches que nous montons. Notre hôte, affable et simple, a le souci du moindre détail qui échapperait à notre regard, comme la rambarde des escaliers entièrement en cuivre, brillante sans aucune tache. “Il faut toujours frotter parce que la moindre trace du doigt ne partirait plus !” nous dit-il en guise de mise en garde presque. Au sommet de la tour, là où se trouve le foyer de la lanterne, nous découvrons un espace extrêmement réduit où il est vraiment difficile de se mouvoir. L'installation du système d'éclairage nous semble étrange et simple à la fois, puisqu'à notre grand étonnement, nous trouvons qu'une seule et petite ampoule halogène de 2 000 watt ! Mais l'optique a un diamètre de 1,92 m, constitué de feu blanc à 4 éclats. La vitesse de rotation, nous explique-t-on encore, est d'un tour toutes les 25 secondes et la porte du “feu” de 33 miles marins. Ce n'est qu'en 1992 que le phare de cap Falcon a été entièrement automatisé ainsi que 3 autres phares de la région. Mais comme il a été jugé nécessaire de maintenir des gardiens de phare, la mise en marche se fait encore manuellement à partir de l'armoire automatique qui gère, en fait, tout le système. Avant cette opération de modernisation, mettre en marche le phare n'était pas une opération de tout repos. Cela fonctionnait grâce à un système de poids et au pétrole. D'ailleurs, l'ancien système a été conservé et se trouve toujours installé dans la tour, de véritables pièces de musée en fait. Le gardien du phare devait, à la force de ses bras, actionner la machine de rotation en faisant monter descendre les poids en fonction de la vitesse de rotation à donner et de l'angle choisi. Il fallait être impérativement deux personnes pour mener à bien l'opération. Au centre, un réservoir à pétrole avec une mèche permettait l'allumage. Ce système, nous dit-on, existe et fonctionne encore sur certains phares d'Algérie. De l'intérieur de la coupole, qui est également tout en cuivre, nous sentons presque les bourrasques du vent à travers les vitres. Nous sommes pris de vertige devant cette immensité qui s'étale devant nous, la baie d'Oran nous apparaît dans toute sa splendeur. Nous distinguons le fourmillement des habitations si loin, si silencieuses, et l'on se sent, d'un coup, si petits, suspendus comme le phare, devant cette vision de beauté. En redescendant “sur terre”, Azzedine nous explique que la vie au phare n'est pas des plus dures, sauf peut-être dans les phares isolés comme celui des îles Habibas, où il a également travaillé. “L'isolement, la solitude sont difficiles à supporter là-bas !” Parfois, en plein hiver, lorsque la tempête fait rage, les gardiens de ce phare doivent rester plus de deux semaines seuls, avant que la relève ne parvienne. Mais ici à cap Falcon, l'isolement n'est pas total, mais il reste toujours un univers à part, qui s'est ouvert à nous, le temps d'une visite. Exceptionnellement encore, Azzedine nous montrera les registres des visiteurs du phare. Les plus anciens des registres qui sont conservés ici remontent à 1929. Les tout premiers registres qui ont été ouverts dès la mise en marche du phare, en 1868, se trouveraient à Alger. En feuilletant les pages, nous découvrons, émerveillés, les messages laissés par des hommes et des femmes, des anonymes qui ont ainsi immortalisé leur passage au phare, leur passage sur la terre. Des mots en hommage aux hommes, à la nature, écrits à la plume, à l'ancre bleue comme une calligraphie. Ainsi, en 1930, un inspecteur des P et T écrivait avec force : “Combien l'homme est petit devant l'immensité…” Nous lisons un autre message laissé en 1929 : “Je me suis vue au ciel.” Des pages plus loin, nous retenons cette autre missive empreinte d'humour qui a été écrite en 1935. Son auteur dit ainsi : “J'ai manqué de boire la tasse et c'est heureux que je me suis vu en haut du phare sain et sauf.” De tous ces signes remontant pour nous à un très lointain passé, l'émotion est éternellement présente. Nos hôtes nous tendent le dernier registre pour qu'à notre tour nous y gravions nos sentiments du moment : “C'est une règle, chaque visiteur, important ou pas, doit signer le registre”, dira en conclusion Azzedine. À notre départ, les rayons du soleil réapparaissaient derrière les nuages, la tour du phare se dessinait au loin, interminable, imperturbable, restant pour toujours ce lien entre le monde de la mer et de la terre. F. Boumediène