C'est épatant la manière dont la question de l'enrichissement est abordée en Algérie. Impôts, douanes et autres services de contrôle jouent, tour à tour, l'épouvantail dans un vacarme inintelligible. La loi de finances avait prévu la possibilité pour l'administration fiscale de recenser les patrimoines et les comptes des Algériens à l'étranger, avant que la direction des impôts ne crée enfin une direction des grandes entreprises et n'annonce des “vérifications approfondies sur la situation fiscale globale”. La dernière tentation du fisc consiste en une “police des fortunes”… Pendant ce temps-là, les pouvoirs publics reconnaissent “une cinquantaine de marchés parallèles”, près de un million de commerces illicites et 3 875 faux importateurs. Ils peuvent cependant se prévaloir de quelques grandes réalisations à mettre sur le compte des différentes “réformes” : la récupération de 2,64 milliards de dinars d'impôts sur le revenu et le redressement de 725 personnes ! À l'échelle d'une économie, il n'y a pas là de quoi pavoiser, mais l'effet d'annonce devrait compenser l'inefficacité opérationnelle. Il y a de fortes chances qu'en voulant effrayer les fraudeurs, ce sont tous les opérateurs qu'on cherche à inquiéter. Car à l'évidence, nul besoin de “forces spéciales” pour traquer les filous. Les marchés parallèles, y compris ceux des devises et de l'or, ne se cachent pas. Et ce n'est pas en assimilant de gros revenus aux fortunes mal acquises qu'on assainit la vie économique ; au contraire, c'est aux tricheurs que la confusion profite. Un système qui génère autant d'évasions et de fraudes fiscales et de marchés noirs devrait s'interroger sur ses incohérences qui, forcément, sont à l'origine des dysfonctionnements. À la pression institutionnelle sur les opérateurs — comme dans le cas de la gestion centrale des comptes devises des exportateurs — s'ajoute une injustice fiscale qui pousse les opérateurs à se dérober, à chaque fois qu'ils le peuvent, au contrôle institutionnel. Une approche moraliste et répressive ne suffit pas à corriger l'inefficacité structurelle de l'ordre financier. On en viendrait alors à la situation qui privilégie justement les fraudeurs : ne paie que celui qui se fait attraper. Bien sûr, l'impôt ne peut rien contre certaines pratiques dont l'éradication dépend plus de la réforme politique que de solutions fiscales. Comment, en effet, l'administration s'y prendrait-elle pour soumettre à ses règles les revenus de la corruption et du passe-droit et les avantages en nature des favorisés du système qui habitent gratis, consomment gratis, voyagent gratis et acquièrent presque gratuitement des patrimoines qui, au moment d'être réalisés, s'avèrent être d'appréciables propriétés ! Notre système est hybride. Il se revendique du marché en matière économique et pratique le contrôle bureaucratique et l'injonction politique en matière financière. Ce ne sont pas des règles d'imposition dont il a besoin pour concilier l'inconciliable, mais d'une gymnastique. Ce à quoi il s'essaie régulièrement. M. H.