Pour certains, elle vise à mettre fin aux violences terroristes qui ont endeuillé le pays durant la décennie écoulée, pour d'autres elle ne constitue qu'un “brouillon” de la future Constitution dont le Président en serait l'inspirateur : incontestablement, la charte pour “la paix et la réconciliation nationale”, dont un référendum a été organisé le 29 septembre écoulé, reste l'événement politique majeur de l'année qui vient de s'écouler. Approuvée par près de 98% des électeurs, hormis la Kabylie où le pourcentage n'a guère dépassé les 11%, selon des chiffres officiels, la charte avait mobilisé durant deux mois tout le personnel politique — en premier chef le président de la République — évoluant dans le giron ou dans la périphérie du pouvoir. Comme de coutume en pareille circonstance, durant deux mois, depuis pratiquement l'annonce de la tenue du référendum le 14 août, tout a été mobilisé pour la “bonne cause” : placards publicitaires, campagne jusqu'à l'overdose dans les médias publics, “déplacements de populations” pour les meetings du Président, mobilisation de l'Administration et harcèlement, sous peine de représailles, des segments velléitaires. Réfractaires, hostiles ou exprimant des avis contraires, certains partis particulièrement les partis d'opposition sont frappés d'ostracisme. Leurs militants sont arrêtés, comme pour le MDS, ou sont exclus des médias et l'accès aux salles pour animer des meetings leur est refusé. Une campagne à sens unique où seule la voix de “la cour”, de ses “valets” et de ses “serviteurs” était tolérée. Un seul son de cloche devait retentir : celui de la réconciliation, laquelle devait sceller définitivement les retrouvailles, selon l'objectif assigné formellement à la démarche, les Algériens entre eux et enterrer la “fitna”, pour reprendre un vocable en vogue. “Il n'y aura pas d'amnistie générale !”, tempérait toutefois Abdelaziz Bouteflika dans chacun de ses meetings, histoire de lever les soupçons qui entouraient son initiative. Il faut dire que beaucoup spéculait sur un éventuel pardon qui serait accordé aux “harkis” et aux individus coupables de “détournements de deniers publics” et “d'évasion fiscale” d'autant que le président de la République avait parlé d'amnistie générale lors de son discours à l'occasion du cinquantenaire de la Révolution. Se référant au texte rendu public, il rappelle qu'en sont exclus “les auteurs de viols, d'attentats dans les lieux publics et d'assassinats collectifs”. Et l'objectif final, selon lui, est d'enterrer définitivement la page des violences et d'engager résolument le pays sur la voie du progrès. Tel pourtant n'était pas l'avis d'acteurs de l'opposition, d'associations de victimes du terrorisme, d'ONG et d'intellectuels réduits au silence et n'ayant de tribune que la presse privée ou étrangère. Si pour certains, la charte ne vise qu'à assurer “l'impunité” aux acteurs impliqués dans les violences, pour d'autres, elle ne constitue qu'un tremplin pour un troisième mandat au président de la République. D'autres, enfin, plaçant le débat dans le cadre strict du droit, soutiennent que l'initiative s'inscrit en faux par rapport aux règles universellement admises dans le domaine. Il faut dire qu'une disposition du texte confortait leurs appréhensions. “Le peuple algérien souverain approuve la présente charte pour la paix et la réconciliation nationale et mandate le président de la République pour prendre toutes les mesures visant à en concrétiser les dispositions.” Autant dire qu'à l'issue de l'approbation, le Président était habilité à entreprendre toute mesure qui lui semble bonne. Depuis, les observateurs avaient les yeux rivés sur les textes d'application dont on avait promis l'élaboration dans les plus brefs délais. Mais à ce jour, rien n'a été fait. Raisons ? Des divergences semblent être apparues en haut lieu. Et rien n'est plus édifiant que ces deux déclarations contradictoires de deux ténors de l'Exécutif. Si pour Ahmed Ouyahia, un homme réputé proche des cercles décideurs, la charte est “la dernière étape”, pour Abdelaziz Belkhadem, secrétaire général du FLN et néanmoins un proche du Président, la charte “n'était qu'une étape”. Si aujourd'hui le projet semble être mis en veilleuse, l'évolution de l'état de santé du Président et les contingences politiques y afférentes risquent complètement de le renvoyer aux calendes grecques, pour ne pas dire de l'abandonner. KARIM KEBIR