Vendredi 16 décembre 2005. Nous décollons de l'aéroport Houari-Boumediène à 21h40, laissant derrière nous un temps pluvieux et froid. Nous franchissons le sol malaisien le surlendemain, après 14h de vol et deux escales de 18 heures au total, l'une à Tunis et l'autre à Doha. Il est 4 heures 35 sur notre montre. Nous la réglons à l'heure locale : 11h35. L'air est à la fois humide et chaud. Arrêt sur un “tigre” asiatique, qui a profité du développement des “dragons” japonais et chinois. Un pays musulman en extension, aux identités plurielles, où les traditions, les civilisations et l'ultramodernisme se fraient un chemin parmi les lois de l'universalité, pour mieux survivre à la compétition régionale et mondiale. Malgré la fatigue et les effets du décalage horaire, nous ne pouvons rester insensibles à ce bijou moderne, qui est l'aéroport international de Kuala Lumpur. Toutes les commodités sont présentes pour faciliter les départs et les arrivées des voyageurs, y compris les ascenseurs, les trains reliant la piste d'atterrissage aux autres accès, les restaurants et l'espace comportant l'air conditionné pour les fumeurs. Tout est nickel et organisé. La surprise est grande : on se croirait dans un aéroport européen ou peut-être japonais, si l'on ajoute le train express qui fait le va-et-vient entre la capitale et l'aéroport. Mais notre surprise sera chaque jour plus grande, même lorsque nous pénétrons, quelques jours plus tard, à l'aéroport de Langkawi, dans l'Etat de Kedah : des parapluies aux couleurs des compagnies aériennes sont proposés aux passagers, pour se protéger de la pluie, avant de les restituer à l'entrée de l'avion. Du point de vue touristique, la Malaisie semble moins connue que d'autres pays du sud-est asiatique, comparativement à ses voisins thaïlandais, singapourien, indonésien et chinois. Cette destination au climat tropical, comblée par une nature généreuse et des richesses naturelles, offre cependant une panoplie de produits, un savoir-faire avéré et un excellent réseau routier : taxis, bus, métro, train, monorail et TGV. L'accueil qui nous a été réservé, les hôtels dans lesquels nous sommes descendus, les paysages que nous avons admirés et les prestations de service qui nous ont été présentées, tout cela nous laisse croire qu'en Malaisie le voyageur a l'embarras du choix pour peu qu'il dispose des moyens financiers nécessaires pour payer le billet d'avion. Nous avons passé la première nuit dans un hôtel, situé dans la nouvelle ville administrative de Sutrajaya. Un hôtel entouré de verdure et décoré d'une multitude de compositions florales, qui donne sur une ville presque irréelle, aux couleurs du métal et du bois, et aux formes modernes. Langkawi : une destination touristique Ce soir-là, sur invitation du ministère du Tourisme malaisien, nous avons dîné dans la même ville avec des délégations venues du Moyen-Orient et du Maghreb, aux sons du folklore local puis oriental. Mme Lim Cindy, une des responsables de l'Office malaisien du tourisme et de la promotion internationale, a joué la carte de la transparence, avouant que son pays est à la recherche de “nouveaux marchés”. Selon elle, la Malaisie est une destination touristique pendant toute l'année, pouvant satisfaire plusieurs marchés, dont celui des pays arabes. À en croire cette dame, les recettes touristiques oscillent entre 5 et 8%, et devraient se maintenir, sinon augmenter, en dépit de la concurrence qui fait rage dans la région et même si la Chine a ouvert, en septembre dernier, 107 nouvelles destinations touristiques, contre les 10 destinations existant jusque-là, dont la Malaisie. Mme Cindy a également convenu de l'absence de lignes aériennes entre l'Algérie et son pays, gardant toutefois espoir, puisque “les négociations se poursuivent entre les deux parties”. Nous passerons les trois jours suivants à Langkawi, une zone franche distante de 400 km de Kuala Lumpur. Quelque 60 000 habitants vivent dans cet ensemble de 99 îles, où l'île de Langkawi est la plus grande. Nous descendons à l'hôtel Awana Porto Malai, construit sur un port. Il a un petit air méditerranéen, avec son phare, ses toiles rouge brique, sa proximité avec la mer et ses barques. Une touriste anglaise, venue pour la première fois en Malaisie, s'est dite “crazy” de ce petit paradis, vite séduite par le soleil en plein hiver et l'accueil des employés de l'hôtel. Pendant notre séjour à Langkawi, nous avons visité par bateau des îles inhabitées, réservées uniquement au tourisme, comme l'île de Pulan Dayang Bunting et l'île de Beras Basah. La première, peuplée de singes, est dotée d'escaliers en dur menant vers un dock flottant, qui joue le rôle de plongeoir et de terrasse ; la seconde a gardé toute sa beauté sauvage, avec son sable clair et fin, ses cocotiers et ses bananiers, ainsi que ses bungalows traditionnels tous construits en bois. Dans l'île de Pulan Dayang Bunting, nous avons croisé des touristes chinois et hindous, ainsi que quelques Malaisiens. Empruntant la plateforme, certains ont nagé, parmi eux des jeunes filles malaisiennes en hidjab (voilées). Dans l'autre île paradisiaque, les touristes rencontrés étaient surtout des Australiens, en quête d'évasion et d'exotisme. À Langkawi, la végétation est omniprésente. La Malaisie, nous dit-on, est réputée pour ses jungles tropicales et ses arbres aux noms qui font rêver : kasaï, pometia, djati, pisang, kilapa, mango, babakachou, getah, meranti... Certains de ces arbres servent à construire des habitations, d'autres des meubles, dont une partie sera exportée. Les villages, habitués à la présence des étrangers, semblent dépendre beaucoup de l'activité touristique. Ils possèdent des magasins aux produits multiples (linge, souvenirs, statuettes, sacs, lampes, etc.), provenant souvent des pays voisins, des hôtels luxueux et d'autres plus simples, des restaurants, des petites maisons aux larges toitures, parfois en zinc, ressemblant à celles d'un temple, de même que des rizières et quelquefois des espaces réservés à l'élevage des crevettes. Langkawi dispose aussi de grands parcs, tels que le square de l'aigle, d'un aquarium réunissant des centaines d'espèces de poissons, d'un supermarché, d'une petite usine d' huiles de massage et d'une autre, toute aussi modeste, destinée à la confection de tissu et à la peinture sur soie. Dans cette région, la plupart des femmes malaisiennes portent le foulard : elles sont présentes partout et recourent à la moto, comme moyen de locomotion le plus usité au Kedah. Langkawi a aussi ses lieux luxueux et originaux. Le restaurant Bon Ton, géré par une Australienne, qui dispose également de six chambres flottant sur l'eau de mer. L'hôtel The Four Seasons qui offre des chambres à 1 000 dollars la nuitée. Et l'hôtel Pelangi dirigé par un Suisse, adaptant l'architecture malaisienne et les paysages au confort européen. “La Malaisie veut donner l'image de l'Islam tolérant” Les deux derniers jours passés à Kuala Lumpur ont fini par nous persuader, à travers ce que nous avons vu et entendu, que la Malaisie est un pays à contrastes qui affiche de façon ostentatoire ses particularités et son approche avant-gardiste, sans échapper, toutefois,à certains fléaux de société : prostitution, drogue, pauvreté... La capitale exhibe un modernisme développé au sein d'une ville orientale, plaçant sa confiance sur la compétence des jeunes et sur le privé, national et étranger. Outre l'aéroport international, on y trouve les tours jumelles Petronas, le monument le plus haut du monde, qui domine les gratte-ciel, la tour Menara, la grande mosquée de Jalan Ampang, le quartier chinois, les parcs d'attraction, les casinos, les banques et les sociétés de construction de voitures. Kuala Lumpur, le “Garden city of lights” est toute lumière à la tombée de la nuit, éclairant abondamment ses habitants, y compris les femmes au foulard et les non voilées. Dans la capitale, comme à Langkawi, la cuisine, quoique reposant essentiellement sur le riz, les fruits de mer et l'entente salé/sucré, a cependant ses spécificités, subissant l'influence des trois principales civilisations présentes dans ce pays : malaise, chinoise et hindoue. Seulement, les particularités, voire les paradoxes, ne s'arrêtent pas là. La Malaisie est composée de deux territoires distincts d'une superficie totale d'environ 330 000 km2 : la Malaisie péninsulaire qui comprend 11 Etats délimités au nord par la Thaïlande et au sud par Singapour, et la Malaisie orientale qui est située sur la côte nord de l'île de Bornéo, formée par les 2 Etats de Sabah et Sarawak. L'ancienne colonie britannique a recouvré son indépendance en 1957, mais elle a préservé le butin anglo-saxon, notamment la langue anglaise (la deuxième après le malais qui est la langue officielle), des infrastructures et l'architecture de certains quartiers. La population malaisienne s'élève actuellement à 26 millions de personnes, dont plus de 50% sont Malais, plus de 25% sont originaires de Chine, moins de 10% de l'Inde et quelque 7% représentent les tribus aborigènes. Du point de vue religieux, plus de la moitié de la population est musulmane, le reste se compose de bouddhistes (plus de 17%), de taoïstes (8%), de chrétiens (8%) et d'Hindous (8%). En Malaisie, l'islam est religion d'Etat, les lois précisent par ailleurs que le Premier ministre doit être un Malais, de confession musulmane. Lors de notre voyage, nous avons rencontré un jeune hôtelier qui s'est converti à l'islam en 2002, avant d'entreprendre une omra la même année. L'ex-chrétien aurait rêvé qu'on lui avait ramené un tapis pour faire sa prière. C'est un ami hadji, a-t-il confié, qui lui avait interprété le rêve et qui l'avait convaincu d'embrasser la religion musulmane. “Il n'y a pas de différence entre les Malaisiens. C'est juste une question de respect des différences et des religions”, a-t-il insisté auprès de nous. Quelques jours après, nous avons parlé à deux jeunes gens, l'un de Langkawi et l'autre de Kuala Lumpur qui ont montré, en revanche, de l'hostilité envers certains touristes, les étrangers de confession chrétienne. Ils leur reprochaient d'étendre, par voie de sectes, le christianisme sur le sol malaisien et ce, en violation avec la Constitution. Plus tard, nous avons approché dans la capitale un Malais, la cinquantaine passée, qui semblait ouvert sur la question de la foi. Ce dernier a admis indirectement l'existence d'un équilibre relativement fragile entre les différentes religions : notre interlocuteur n'a pas exclu l'éventualité de conflits futurs autour de ce sujet, surtout si la carte démographique venait à se modifier. Selon lui, une telle hypothèse entraînerait forcément le changement de la Constitution et donc l'entrée de nouvelles règles du jeu politique. “La Malaisie joue la carte musulmane, elle a même défendu l'idée de la circulation d'une monnaie entre pays musulmans. Mais, elle possède d'autres cartes, comme la carte asiatique et celle de membre du Commonwealth où elle a des avantages”, a-t-il dit, en signalant au passage que près de 25 000 Malaisiens se rendent, chaque année, en pèlerinage à La Mecque et en notant hardiment : “La Malaisie veut donner une nouvelle image de l'islam, l'image de l'islam tolérant.” Une année après le tsunami… La Malaisie est une monarchie “fédérale et parlementaire”. Elle est membre de l'Association des nations d'Asie du Sud-Est (Asean). La fédération de Malaisie, créée en 1948, regroupe 13 Etats (après le retrait du Singapour en 1965) : 9 sultanats et 4 Etats. En outre, des régions comme Kuala Lumpur, Labuan et Selangor, où est implantée la ville de Putrajaya, sont classées “Etats fédéraux”, bénéficiant d'une certaine autonomie. En Malaisie, un roi est élu périodiquement par les différents sultans, qui ont un pouvoir relativement limité : les lois malaisiennes donnent les pleins pouvoirs au gouvernement émanant du Parlement, qui est élu tous les 5 ans. La Malaisie présente une autre particularité : le sultanat de Kelantan, établi au nord-est de la Malaisie péninsulaire, est un Etat islamique, qui est dirigé selon la charia par le Parti politique islamique malaisien (PAS). Le 23 décembre dernier, c'est-à-dire la veille de notre départ, le ministre député malaisien du tourisme, Zahid Hamidi, a rejeté, lors d'une conférence de presse, toute idée de violence pouvant émaner un jour du PAS. “C'est impensable, a-t-il déclaré, les partis islamistes sont vraiment modérés”, non sans prévenir que “la police fait son travail” en cas de dépassements. Le ministre a en outre défini son pays de “non dictatorial”, expliquant que les 14 partis politiques existants se battent pour le pouvoir. “La démocratie est connue en Malaisie”, a appuyé M. Hamidi, en faisant référence aux élections nationales, qui sont organisées tous les 5 ans, et qui permettent au parti gagnant d'être majoritaire. Cette année, la Malaisie habillée de ses beaux sapins et de décors féeriques pour les fêtes de fin d'année, n'a pas oublié de commémorer le 1er anniversaire du Tsunami. Le 26 décembre 2004, une vague meurtrière s'était, pour rappel, abattue sur des pays asiatiques, faisant plus de 170 000 morts. Mais, contrairement à l'Indonésie, au Sri-Lanka, à l'Inde et à la Thaïlande, la Malaisie a été épargnée en grande partie par le raz-de-marée, enregistrant seulement 68 morts et des disparitions dans le nord de la Malaisie péninsulaire, principalement dans la région du Langkawi. Cet épisode douloureux a touché des centaines de personnes, surtout les veuves, les familles de paysans et de pêcheurs, privant ces derniers de leur bateau. Il a également affecté pas mal d'hôtels qui, à l'exemple de François Sigrist, propriétaire de l'hôtel Pelangi, a dû débourser 6 millions de Ringgits malaisiens (RM), soit l'équivalent de 1,5 million d'euros. Les pouvoirs publics ont réagi vite, en indemnisant les familles sinistrées et en les installant dans d'autres villages, dans des logements provisoires, en attendant la reconstruction de nouvelles habitations. Les autorités malaisiennes, bien que rassurantes, n'ont pas caché que leur économie a connu une baisse de l'activité touristique durant les premiers mois qui ont suivi le Tsunami. Mais, elles restent égales à elles-mêmes, très ambitieuses, mettant en avant l'avenir et les grands plans à réaliser : la Malaisie devrait se débarrasser d'ici à l'année 2020 de son statut d'économie intermédiaire et devenir “une nation pleinement développée”, nous dit-on. Ce pays, qui maîtrise les technologies de pointe et qui est classé économiquement à la 16e place mondiale, semble conscient que les puissances régionales sont à la fois une bénédiction et une source de préoccupation. Nous quittons ce pays accueillant, quelque peu frustrés de n'avoir pas pu visiter les autres Etats de Malaisie. Ce n'est que partie remise… H. A.