Quarante-six jours de grève pour les étudiants, près de six mois de débrayage pour les enseignants affiliés au Cnes, la situation de l'Ecole des beaux-arts est dans l'impasse. Cest aujourd'hui que les étudiants de l'Ecole supérieure des beaux-arts devraient regagner les salles de cours et les ateliers, après quinze jours de vacances. Version officielle. Car, les futurs artistes plasticiens n'ont pas quitté l'école, les vacances étant intervenues en période de crise. Les étudiants sont en grève depuis le 22 novembre dernier, alors que leurs enseignants de la section syndicale Cnes sont en arrêt de travail depuis le 12 juin 2005. Deux cent cinquante étudiants attendent la délivrance. “Nous ne nous sommes jamais considérés en vacances dans la mesure où ces dernières interviennent en moment de crise. Même si les portes de l'école nous ont été fermées depuis le 22 novembre, nous avons été présents H24 à l'école.” La déclaration du président du comité des étudiants de l'Esba, M. Bouzar, traduit la crise que vit l'école depuis plus de sept mois. Officiellement en vacances depuis le 22 décembre, les étudiants se disent être toujours en grève dans la mesure où aucune de leurs doléances n'a été satisfaite. C'est dans une école déserte que nous avons rencontré étudiants et enseignants grévistes, ainsi que le directeur de l'établissement. Si la banderole accrochée à l'extérieur de l'école indique que les étudiants sont en grève, la note de la direction indique que l'école est en vacances jusqu'au 7 du mois en cours. “La direction veut faire croire que nous sommes en vacances, ce qui n'est pas le cas. Car, il a été convenu, lors de l'AG du 26 novembre, avec le représentant du ministère de la Culture, la suppression des vacances d'hiver et de printemps afin que nous puissions rattraper les cours que nous n'avons pas eus depuis le début de la grève de nos enseignants. Le but du directeur est de temporiser. Nous ne cessons de subir des intimidations. L'entrée à l'école nous a été interdite et la mossala (lieu de prière) où les filles passaient la nuit, a été fermée. Nous sommes obligés de grimper les portails pour accéder à l'école”, poursuit M. Bouzar. Reçu lundi passé par la ministre de la Culture, il affirme que rien de concret n'a été conclu et que les problèmes de l'école attendent toujours des solutions. Refusant d'être de simples observateurs et de subir les décisions des autres, les étudiants de l'Esba comptent aller jusqu'au bout de leur action de protestation au risque de faire une année blanche. La grève, la quatrième du genre que connaît l'école, et les revendications des étudiants n'ont jamais été réellement prises en charge. Notre interlocuteur affirme que plusieurs rapports soumis à la direction sont restés, à ce jour, sans réponse. Si tout dialogue étudiants-administration semble rompu, la crise du côté des enseignants ne semble pas non plus parvenir à son épilogue. Formation artistique, une formation pas comme les autres La grève qui persiste depuis le mois de juin dernier n'est qu'un symptôme de l'apathie qui désagrège la formation au sein de l'école. Une accumulation de plusieurs années de mépris et de non-considération à l'égard d'une discipline longtemps considérée comme le parent pauvre de la formation supérieure. “On ne comprend pas pourquoi ce long silence de la part de la tutelle. Nos étudiants ont eu plus de chance que nous pour dialoguer avec les responsables de tutelle et c'est tant mieux d'ailleurs. Avant de passer à la grève, nous avons déposé au mois de mars une demande d'audience auprès du ministère de la Culture, mais nous n'avons pas eu de réponse”, affirment les membres du bureau syndical, section Cnes de l'Esba. Les représentants des 26 enseignants grévistes contestent, en plus du harcèlement judiciaire contre leur section syndicale, du gel des salaires et de la non-satisfaction de leurs revendications socioprofessionnelles qui étaient à l'origine du marasme, la circulaire de Khalida Toumi portant dissolution de toutes les structures pédagogiques, à l'exception du département de la scolarité. La désignation d'un conseil pédagogique extraordinaire formé de maîtres-assistants, de docteurs et d'enseignants titulaires d'un magistère, est venue mettre le feu aux poudres et susciter l'indignation des enseignants. “On ne comprend pas la circulaire de la ministre qui exclut du conseil pédagogique des enseignants expérimentés, juste parce qu'ils n'ont pas de diplômes en post-graduation.” Les grévistes affirment avoir fait preuve de leur bonne volonté, à plusieurs reprises, en suspendant la grève afin de permettre à leurs étudiants de passer leurs examents de fin d'année et d'assurer le concours d'entrée aux étudiants de 1re année. “On ne comprend pas comment la direction peut se permettre de nous acculer et nous accuser de prendre les étudiants en otage”, poursuivent nos interlocuteurs. Les grévistes qui contestent la nouvelle composante du conseil pédagogique, imposée par la ministre, tiennent à ce que la spécificité de la formation artistique soit respectée et prise en considération. “Nous ne refusons pas de poursuivre les études en post-graduation, mais que cela ne soit pas juste pour des titres. C'est vraiment absurde. Ils veulent supprimer le titre de chef d'atelier et autres pour faire de nous des docteurs en art.” Leur grève n'est en réalité qu'une sonnette d'alarme pour attirer l'attention sur la dégradation de la formation à l'Esba : absence de matériaux de travail, d'un programme de formation étudié et de conditions d'accueil. “La nouvelle formation du conseil pédagogique exclut les enseignants qui n'ont pas un magistère ou plus, alors que des collègues à nous, avec les mêmes diplômes, enseignent à l'université de Mostaganem. C'est complètement absurde.” Sur le plan pédagogique, l'Esba dépend du ministère de l'Enseignement supérieur, qui n'est là que pour valider des programmes, volume horaire et intitulé des matières établis par les enseignants et approuver les diplômes. “Pour intégrer l'école dans la formation supérieure, il a suffi d'ajouter des matières comme les mathématiques, l'arabe (même pas le lexique utilisé dans les arts plastiques), l'anglais et la physique.” À souligner que lors du concours d'entrée à l'école pour l'année 2005/06, il a été clairement signifié aux postulants que l'hébergement ne sera pas pris en charge. “La majorité de nos étudiants vient de l'intérieur du pays. Pourquoi les exclure des œuvres sociales alors qu'ils relèvent pédagogiquement du secteur de l'enseignement supérieur ? sachant qu'une simple feuille de dessin ne coûte pas moins de 30 DA.” “Je ne fais qu'appliquer les textes de loi” Le directeur de l'école, M. Djahiche, dénonce la position des enseignants grévistes qui prennent en otage l'avenir des étudiants. “Sur les 41 enseignants de l'école, seuls 26 sont en grève. Si les choses rentrent dans l'ordre le 7 janvier et que les étudiants décident de regagner leurs classes, nous avons jusqu'au 31 juillet pour rattraper le retard. Je m'engage personnellement à terminer le programme”, dit-il. Ce dernier semble avoir déjà mis en place un plan de sauvetage consistant à faire appel à des enseignants nationaux et étrangers si les grévistes campent sur leurs positions. “Si les étudiants reprennent ce samedi (aujourd'hui, ndlr), je suis prêt à faire rattraper les cours perdus en faisant appel à des professeurs nationaux et étrangers, dans le cadre de la collaboration. Le plan de sauvetage comprend essentiellement des cours bloqués afin de respecter le volume horaire.” M. Djahiche déplore que des étudiants de l'année dernière en fin de formation attendent toujours pour soutenir leur mémoire. Question salaires, le directeur de l'établissement dit agir selon les lois en vigueur et affirme que seuls les mois de juillet, août et septembre n'ont pas été versés, contrairement à ce qui a été rapporté par la presse. “En signe de notre bonne volonté, nous avons réglé les salaires des mois d'octobre, novembre et décembre. Il n'y a que les salaires de juillet, août et septembre qui ont été gelés. Mais vu la situation actuelle, je ne compte pas verser le salaire du mois de janvier.” Notre interlocuteur, qui trouve que la nouvelle composante du conseil pédagogique extraordinaire aurait dû satisfaire toutes les parties et mettre fin à la crise, ne reviendra pas sur les revendications de base des enseignants grévistes. Il refuse de reconnaître la composante actuelle du bureau syndical Cnes-Esba, le nombre des délégués étant supérieur à celui stipulé dans les textes de loi. Interpellé par les enseignants grévistes, le ministère de l'Enseignement supérieur, par le biais de son chargé de communication, se dégage de toute implication dans le conflit au sein de l'Esba. Contacté par téléphone, M. Kheraïfia affirme que le département de Harraoubia n'intervient que sur le plan pédagogique et préfère considérer le conflit au sein de l'Esba comme purement administratif. “L'Ecole supérieure des beaux-arts dépend administrativement du ministère de la Culture. Nous ne faisons que valider les programmes et cosigner les diplômes.” En attendant un compromis en mesure de débloquer la situation, il reste à espérer qu'une véritable réflexion sera engagée sur l'avenir de la formation des Beaux-Arts en Algérie. W. L.