Des grèves cycliques, des directeurs qui se succèdent, des spécialités fermées, des programmes chamboulés, des attestations “éternellement” provisoires… rien ne va plus dans les trois établissements de formation artistique supérieure en Algérie : Ecole supérieure des beaux-arts (Esba), Institut national supérieur de musique (Insm) et Institut supérieur des métiers des arts et du spectacle (Ismas), ex-Institut national d'arts dramatiques (Inad). Une crise chronique qui témoigne de l'absence d'une politique cohérente pour tout un secteur, celui de la culture. Il ne se passe presque pas un jour sans qu'un des trois établissements défraye la chronique. Les problèmes sont multiples, communs à tous ou particuliers à chaque institut. Certaines complications remontent à une vingtaine d'années. La principale incohérence est la double appartenance aux deux ministères, celui de la Culture et à celui de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Alors que ce dernier semble se désengager de la gestion de ces établissements, entre les uns et les autres, reste l'avenir des étudiants, toujours aussi incertain. “Les rats de laboratoire” de l'Institut supérieur des métiers des arts et du spectacle “Rats de laboratoire”, c'est ainsi que les étudiants de l'ex-Institut national des arts dramatiques, devenu l'Ismas depuis 2004, se définissent. L'institut est une grande bâtisse coloniale donnant sur la grande bleue, que les habitants de cette paisible petite ville côtière auront l'amabilité de vous indiquer. Car aucun panneau dans la ville ni à l'entrée n'indique que c'est l'institut en question. C'est l'ancien casino, pour les plus âgés. Le site, planté loin du vacarme de la capitale et de son stress permanent, est le plus approprié pour un travail de création artistique. Un temple qui a vu défiler de grosses pointures du quatrième art algérien, notamment Mustapha Kateb. L'Ismas héberge aujourd'hui 53 étudiants à partir de la deuxième année, car pour la rentrée universitaire 2005-2006, il n'y a pas eu de recrutement. “Cette année, il n'y a eu aucune promotion. En 2004-2005, il y a eu une seule promotion, celle de l'actorat. Ils ont fermé les sections de critique, de scénographie, de chorégraphie et de mise en scène. Ils ont procédé graduellement à la mise à mort de l'institut”, s'indignent nos interlocuteurs. Pour M. Tachkourt, directeur par intérim de l'institut, s'il n'y a pas eu de recrutement cette année c'est à cause du vide juridique que vit l'institut. “Le décret portant création de l'Ismas, en 2004, a d'office abrogé le décret de création de l'Inad. Mais les spécialités seront reconduites à l'avenir”, rassure M. Tachkourt. Ce dernier affirme que si le décret de 2004 a changé le statut de l'Inad, qui devient l'Institut des métiers des arts et du spectacle (Ismas), le diplôme qui sanctionnera les études des promotions en formation n'a pas été changé. C'est un diplôme en arts dramatiques qui leur sera délivré. Plus inquiets pour leur avenir, les étudiants, qui ont réintégré les salles de cours après une grève de quinze jours, du 1er au 15 février derniers, demandent l'application du système LMD, (licence, master, doctorat) et dénoncent plusieurs dysfonctionnements dans la gestion de leur établissement. “Alors que le budget du projet de fin d'études est inclus dans celui de l'institut, les promotions précédentes ont été obligées de fournir elles-même les costumes de scène. Elles n'ont rien reçu de la direction”, expliquent les représentants des étudiants, qui dénoncent l'absence de réunions du conseil d'orientation depuis 2002. “Nous sommes censés dépendre aussi du ministère de l'Enseignement supérieur, alors que la formation en arts dramatiques ne figure même pas sur la liste des choix proposée aux nouveaux bacheliers !” Nos interlocuteurs évoqueront aussi le problème du recrutement à la fin de la formation et leur rapport avec le Théâtre national algérien (TNA). En effet, la majorité des diplômés, embauchés au TNA, sont remerciés au bout de trois mois d'exercice ! “Même pour la grande manifestation d'Alger, capitale de la culture arabe, un groupe d'étudiants ne peut y postuler sans l'accord de la direction.” Tableau sombre à l'Ecole des beaux-arts Les étudiants de l'Ecole supérieure des beaux-arts ne sont pas mieux lotis que leurs camarades des arts dramatiques. Le remplacement de M. Djahiche par Mme Agsous, à la tête de cette école, n'a rien changé aux problèmes. Pas plus loin que la semaine dernière, le linge sale de l'école a été étalé au grand jour, en dehors de la grande famille artistique. Car, quoi de plus banal qu'un conseil de discipline qui décide de l'exclusion de deux étudiants pour six mois ? Une histoire qui fera pourtant couler beaucoup d'encre. Et pour cause, en plus du motif de l'expulsion, “un baiser”, l'un des deux étudiants renvoyés n'est autre que le président du comité des étudiants. Un “perturbateur de l'établissement avéré”, connu de la directrice, qui a eu à traiter avec lui des problèmes de l'école du temps où elle était au ministère. Représailles ? Les conditions de l'organisation du conseil de discipline telles que rapportées par les étudiants concernés ne laissent pas la place au doute. D'autant plus que la nouvelle directrice a imposé, dès son installation à la tête de l'Esba, un régime très strict. “Depuis son arrivée, la directrice a toujours refusé de recevoir les étudiants, prétextant qu'il fallait lui donner du temps pour mieux cerner les problèmes. Elle nous impose la signature dans un registre de présence, nous interdit de tutoyer les professeurs et de leur adresser la parole en dehors des cours. Elle a été jusqu'à fermer le cybercafé entre 12h et 14h. Pis encore, elle demande au gérant du cyber d'enregistrer les noms des étudiants et les sites que consulte chacun d'entre nous”, explique Mourad Bouzzar. Pour une école supérieure, de création artistique de surcroît, il ne manque que la convocation des parents. La nomination de Mme Agsous à la tête de l'Esba devait mettre fin aux problèmes que connaissait l'école, qui a battu le record en matière de grève, — six mois consécutifs pour les enseignants affiliés au Cnes — et répondre aux revendications légitimes des enseignants et des étudiants. Des difficultés sérieuses, dont l'organisation des soutenances retardées à cause des grèves, retenant en otage des dizaines d'étudiants, pallier la dissolution de toutes les structures pédagogiques et la révision des programmes pédagogiques et de l'emploi du temps. “Nous avons demandé le retour au programmes types de 1985. Tout le volet pratique a été chamboulé. Nous nous retrouvons avec des enseignants qui n'ont rien à voir avec la formation en arts plastiques, des archéologues et des anthropologues. Des enseignants bien que calés dans leurs domaines, mais qui n'ont rien à voir avec les beaux-arts.” En parlant des professeurs qualifiés, le cas de M. Bouamama, docteur en théorie et en pratique de l'art, est des plus édifiants du dysfonctionnement de l'Esba. L'éminent docteur attend depuis longtemps sa titularisation dans une école qu'il a pourtant dirigée il y a de cela quelques années. Les étudiants et les professeurs de l'école demandent également la révision de la composante du conseil pédagogique, le remaniement des programmes et de l'emploi du temps. “Depuis la suspension de la grève et la reprise des cours, sous conditions, rien n'a été fait. L'emploi du temps de certains professeurs fait qu'ils se retrouvent à enseigner les mêmes jours et aux mêmes heures à des étudiants de 1re, 2e et 5e années. C'est hallucinant !” Le changement dans la continuité. Etudiants et enseignants attendent toujours la délivrance. Fausse note à l'Institut national supérieur de musique (Insm) Alors que leurs camarades des Beaux-Arts et de l'Ismas ont repris les cours malgré tout, les étudiants de l'Institut supérieur de musique poursuivent le mouvement de protestation. Ils contestent l'absence de spécialités et posent eux aussi le problème des diplômes. Ils sont 72 étudiants à demander la révision des programmes. “Les programmes enseignés sont ceux mentionnés dans le Journal officiel. Il y a simplement une ou deux matières supplémentaires, mais ce sont exactement les programmes pédagogiques établis par la tutelle”, répond Mme Seti Mokrane, directrice de l'institut. Cette dernière soutient entièrement les revendications de ses étudiants, tout en leur assurant que les problèmes seront réglés dans les plus brefs délais. W. L.