Cette histoire, René l'a adaptée pour le cinéma et l'a portée à l'écran. Dans un film documentaire d'une trentaine de minutes, il a su rendre avec exactitude et vérité, les rapports de “Jean” à notre pays. Jean, un homme gras et lourd, est assis derrière une table sur laquelle sont posés un 'ardjoun de dattes et une bouteille de Mascara. Il prend une datte et s'exclame : “C'est du soleil transparent !”. Il soulève son verre et déclare : “C'est du soleil en bouteille!” Puis, volubile, il se raconte : “C'est vrai, j'ai fait la guerre d'Algérie, mais je n'ai jamais blessé ni tué personne. Je n'étais qu'un simple troufion. Je travaillais 8 heures par jour, et parfois je n'en faisais que 6 ou 7. Mon travail était simple. Je mettais des mines dans les champs. Il fallait savoir seulement mesurer et placer un engin tous les mètres. Mon service militaire terminé, je suis reparti chez moi en France, en Bretagne. Quelques années plus tard, après l'indépendance de l'Algérie, je suis revenu dans ce pays, comme technicien dans une base pétrolière. Mohamed, qui travaillait avec moi, m'a invité chez lui à Souk Ahras, pour la fête de l'Aïd. J'ai accepté car c'est à Souk Ahras que j'avais fait mon service militaire. Tout s'est bien déroulé : nous avons sacrifié le mouton, mangé un couscous succulent et savouré un café et des gâteaux délicieux. Les membres de la grande famille de Mohamed ainsi que les voisins, étaient sympathiques et généreux. Le lendemain, Mohamed m'a emmené faire un tour en ville et, là, tout a basculé. À chaque fois que nous croisions quelqu'un marchant avec des béquilles, Mohamed me disait tout simplement : “Il a sauté sur une mine.” Cette phrase, il me l'a répétée à la vue d'autres handicapés, qui sur un fauteuil roulant, qui sans bras, etc. Soudain, j'ai ressenti un malaise car j'étais certain qu'en me disant cela, mon ami faisait allusion à mon passage dans l'armée pendant la guerre d'Algérie. Me sentant de plus en plus mal, jusqu'à en avoir mal au ventre, j'ai alors décidé de retourner à la base pétrolière. Depuis ce jour, je n'ai cessé de penser à ces vacances à Souk Ahras qui m'ont aidé à voir clair dans ma vie. Jusque-là, je croyais que je n'étais coupable de rien. C'est cette prise de conscience qui m'a amené à quitter mon emploi et à retourner en France.” Ce magnifique film de René Vautier, ayant pour titre Techniquement si simple, n'a presque jamais été diffusé. Il a été malheureusement détruit à l'occasion du vol et du saccage de sa maison en Bretagne. Et pourtant, beaucoup d'autres “Jean” existent encore ! B. K. [email protected]