Histoire n Jean-Pierre Lledo, un Algérien d'origine espagnole, est connu pour être un cinéaste soucieux de porter un fort intérêt à l'Histoire, de l'appréhender, de l'explorer, de l'interroger. Cette préoccupation se cristallise dans ses films, des documentaires qui s'intéressent à la mémoire contemporaine de l'Algérie, mémoire torturée, muette et qui, parfois, s'ignore, se renie. Il y consacre une trilogie cinématographique. Ainsi, trois films (Un rêve algérien, Algérie, mes fantômes, Ne restent dans l'oued que ses galets) sont consacrés à l'Algérie, à son histoire et à son identité. Ce qui l'intéresse dans cette mémoire, c'est le rapport de l'un à l'autre que le cinéaste – en France comme en Algérie, de ville en ville, et à travers des personnages inattendus – s'emploie à dépister, à recomposer et à montrer. Il y a toujours dans ses films le rapport de l'Algérie à la France – et inversement – et cela à travers une histoire partagée – mais violente et en continuelle confrontation. Il revient sur l'histoire algéro-française de la période coloniale. Il soutient que loin et en dehors des tensions politiques, des rivalités sociales ou encore des antagonismes culturels ou religieux, la cohabitation entre les différentes communautés (musulmanes, chrétiennes ou juives) était possible. L'engagement de Henri Alleg, journaliste français à l'époque coloniale à Alger républicain, en faveur de la cause algérienne en est un exemple. Jean-Pierre Lledo lui consacre un documentaire dans Un rêve algérien. Ce film montre le retour de Henri Alleg en Algérie quarante ans après l'indépendance du pays. Il y retrouve ses amis algériens. Son retour se révèle d'emblée une série de réminiscences : tous vivent les retrouvailles et se rappellent ces années de partage. Dans Algérie, mes fantômes, Jean-Pierre Lledo approche et raconte ceux qui se trouvent en France, donc ceux qui sont partis, ces ex-pieds-noirs, ceux qui, bien que favorables à l'indépendance de l'Algérie, ont dû quitter leur terre natale, ou bien tout simplement ces Européens qui, portant en eux un morceau de l'Algérie, auraient pu rester si l'histoire s'était écrite autrement, si la cohabitation était pensée en termes d'égalité sociale entre communautés, en dehors des préjugés ethnique ou religieux. Enfin, dans Ne restent dans l'oued que ses galets, Jean-Pierre Lledo revient, cette foi-ci, en Algérie, son pays, pour raconter quatre personnages, des Algériens, qui évoquent leur passé colonial. Ils reviennent sur leur enfance, sur les traces de leurs voisins juifs et chrétiens. L'on peut constater, d'une part, que cette trilogie cinématographique consacrée à l'Algérie évoque l'Autre, l'absent, et, d'autre part, que Jean-Pierre Lledo raconte une Algérie «imaginaire», son Algérie – et celle dont rêvent d'autres comme lui –, c'est-à-dire cette Algérie qui aurait pu être : multiethnique et multiculturelle. Le cinéaste, qui puise dans le refus de l'enfermement identitaire, s'emploie à travers cette trilogie, qui est aussi une interrogation sur l'exil, donc sur la nostalgie, à recoller les fragments éclatés à partir de quoi peut s'élaborer une nouvelle identité. Une identité plurielle. Et pour finir, Jean-Pierre Lledo nous dira : «Mes documentaires s'inscrivent dans un nouveau type d'écriture documentaire où le spectateur est aussi acteur, réfléchissant en même temps que le réalisateur ce qui se passe à l'écran, le vivant en quelque sorte simultanément…»