Vendredi, un imam “officiel” est évincé de sa chaire. Son tort ? Il prêche un islam modéré. Ses détracteurs ? Des repentis en tenue afghane. Curieusement, ce qui se passe en ce moment à Birkhadem a un goût de déjà-vu… La mosquée Ibn Badis est la plus importante de la ville de Birkhadem. Avant-hier, à la prière d'“al-joumouâ”, au moment où l'imam attitré de la mosquée, le cheikh Aber Mohamed, faisait le “dersse”, le sermon précédant la “khotba”, de jeunes barbus en tenue afghane surgissent des rangs des fidèles et huent l'imam en le sommant de céder le minbar. “Ma tssalich bina”, “On ne veut pas de toi ici !”, crient-ils avec force agitation, en semant un grand désordre dans le lieu de culte, habituellement si paisible. Devant la montée du brouhaha dans la mosquée, et par souci d'éviter que la fitna grossisse, l'imam cède. Un représentant de la “nidhara”, la direction des affaires religieuses, prend le relais et termine l'office. Il édifiera longuement l'assemblée des fidèles sur la nécessité de maintenir les maisons de Dieu à l'abri des luttes sectaires. Mais il n'osera pas s'attaquer frontalement aux instigateurs de cette fronde. Hier, nous sommes retournés sur les lieux de ce triste événement. Nous rendons visite au domicile de l'imam évincé. Il ne donnera pas signe de vie de toute la journée. “Il est parti régler cette affaire à la nidhara”, nous dit son frère. Dans l'enceinte de la mosquée, les choses semblaient être rentrées dans l'ordre. Mais en apparence seulement. L'imam “déchu” n'a pas été en mesure d'officier aux heures de prière. C'est le muezzin de la mosquée, et par ailleurs enseignant coranique, qui assure le service à sa place. Vraisemblablement, le cheikh Aber Mohamed a été mis en “congé spécial” jusqu'à ce que cette affaire se tasse. Tout a commencé lorsque, il y a une vingtaine de jours, alors que l'imam allait présider la prière de l'“îcha” comme à l'accoutumée, un quarteron de “mutins”, hirsutes, se mit à le conspuer en l'empêchant d'officier. Le lendemain, l'imam va se plaindre auprès de sa hiérarchie, et voilà qu'il se voit accorder un congé de quinze jours, le temps que les esprits chagrins se calment. Les quinze jours s'écoulent. L'imam était censé reprendre son service le dimanche 26 janvier. Il temporise encore pendant trois jours, préférant reprendre les rennes de la mosquée officiellement à la prière du vendredi. Le jeudi 30, il franchit le seuil du “masjid” pour assurer la prière du dohr. Et là, à sa surprise, alors que les barbus semblaient avoir disparu de la circulation, les voici qui surgissent comme par enchantement en jetant la mosquée dans un grand émoi. Le lendemain, l'imam fait sa dernière apparition à la prière d' “al-joumouâ”, accompagné d'un représentant des affaires religieuses “pour le cas où”... Il est congédié avec la dernière effronterie. “Nos problèmes avec ces gens-là ont commencé en fait, il y a déjà trois ans. Depuis le retour en force des repentis, à la faveur de la loi sur la concorde civile, ils font tout pour avoir le plein contrôle sur la mosquée, comme ils l'avaient fait au temps du FIS”, dit le frère de l'imam. Les instigateurs de ce mouvement de déstabilisation sont dûment identifiés. Il s'agit des salafistes, en un mot, les purs et durs de l'ex-FIS. D'aucuns parmi eux ont fait les camps d'internement de Reggane, nous assure-t-on. Dernière manœuvre en date : ils ont concocté une pétition comportant quelque 800 signatures, exigeant le départ de l'imam. “Ils veulent instaurer leur ordre à l'intérieur de la mosquée, comme ils l'ont fait à celle des Vergers”, accuse le frère de l'imam. “Pour eux, tout ce qui se fait dans cette mosquée est “bidaâ”, une hérésie. Ils veulent interdire jusqu'à la lecture collective du Coran, la glorification du Prophète après la prière, la façon de prier. Tout ce qui n'est pas conforme à l'étroitesse de leur dogme est jugé “haram”, s'indigne-t-il. Dans leur pétition, les salafistes reprochent à l'imam de conduire la mosquée d'une main ferme, d'avoir accaparé un logement d'astreinte qui se trouve à l'intérieur de l'établissement de culte et d'avoir fermé la bibliothèque de la mosquée. Concernant le logement, il se trouve que l'imam l'occupe légalement, vu qu'il habite Tipasa. Pour ce qui est de la bibliothèque, il s'avère que les salafistes avaient mainmise sur celle-ci et l'utilisaient à des fins de propagande. Pour le reste, seuls eux semblent se plaindre de la gestion de ce fonctionnaire de culte. L'imam Aber Mohamed a 33 ans. Il est venu à Bir- khadem en 1997. La population ne lui a jamais rien reproché. L'homme a le mérite d'avoir officié dans des quartiers chauds, à l'instar de Baraki, à des moments difficiles. Comment expliquer donc les 800 signatures qu'auraient soi-disant drainées ses détracteurs ? “En fait, les signataires de cette pétition sont tous étrangers à Birkhadem. Les auteurs de cette cabale ont été quérir ces signatures dans tous les quartiers d'Alger et d'ailleurs où ils comptent des sympathisants”, révèle son frère. Et d'ajouter : “Ceux qui ont organisé ce mouvement de fronde sont des islamistes qui se sont installés à Birkhadem à la suite des déplacements de population induits par les inondations de l'an dernier. Nous avons ainsi accueilli tous les purs et durs parmi les islamistes de Belcourt et de Bab El-Oued.” Jusqu'à l'heure, l'imam n'a toujours pas réintégré son office. L'Etat, représenté par son ministère des Affaires religieuses, observe un profil bas et semble vouloir ménager les rejetons de la concorde. Pendant ce temps, les réseaux dormants commencent à s'éveiller. Comme en 89, les islamistes veulent de nouveau accaparer des mosquées, leur appareil de propagande privilégié. Ce qui se passe en ce moment à Birkhadem a un goût de déjà-vu. Affaire à suivre… M. B.