La disparition du nonagénaire imam d'Alger a été fortement ressentie par les autorités. C'est sous une pluie fine et ininterrompue que fut accompagné à sa dernière demeure le cheikh Sahnoun, une des figures de proue de l'islamisme algérien. La foule dense et compacte qui s'est regroupée au cimetière Sidi Yahia à Bir Mourad Raïs a tenu à délivrer un dernier message d'adieu et de respect au vénérable imam de la mosquée de la Concorde. La mort d'Ahmed Sahnoun signifie aujourd'hui la disparition d'un islamiste modéré qui a fait pièce aux courants radicaux depuis une vingtaine d'années. Les autorités algériennes, confrontées à la violence armée au nom de l'islam, en 1982-83 avec le groupe Bouyali, puis à partir de 1992, avec le GIA et les groupes nés de son atomisation, retiendront de lui l'image de la sagesse religieuse et de la démarche patriotique, attitude qu'il a failli payer de sa vie lorsqu'il fut lui-même victime d'un attentat en pleine enceinte religieuse, alors qu'il accomplissait avec ses fidèles la prière du sobh. Les autorités algériennes, confrontées à l'émergence du courant islamiste, et défiées par un Ali Benhadj, gourou de la jeunesse islamiste urbaine, retiendront aussi de lui l'image d'un homme qui s'est levé pour arrêter un bain de sang qui se profilait le 10 octobre 1988. Le jour même il fut reçu par le président Chadli, à la tête d'une délégation, et il signifia clairement que contre la montée en puissance du courant de la jeunesse islamiste, il fallait que l'Etat cesse de la provoquer par la multiplication des actes de déni de justice et d'étalage d'une richesse débridée et agressive. Le temps donna raison au cheikh, et à partir de 1991, l'Etat et ses institutions faillirent être déboulonnées de leurs fondements par une jeunesse islamiste chauffée à blanc... Né en 1906 à Biskra, il est considéré comme un des chefs de file des réformistes de la Nahda algérienne (pas le parti, mais le courant réformiste badissien). Il collabore à la rédaction d'articles dans les revues de l'époque, El Baçaïr Ec-Chihab, etc. En 1946, il fait le premier prêche prononcé au nouveau siège de l'association des oulémas, à La Casbah, un prêche resté célèbre, avec sa formule patriotique assassine: «Algériens, levez-vous, réveillez-vous, les gens de conscience se sont déjà envolés.» Après l'indépendance, il fut nommé imam à la grande mosquée d'Alger et membre du Haut Conseil islamique et restera très aimé par un public avisé et connaisseur. Ses affinités avec Mohamed Saïd lui vaudront le qualificatif de «père spirituel de la Djazaâra» (qui lui vaudra la condamnation, pour apostasie, par le GIA) et le démarquera définitivement des salafistes djihadistes, adeptes de la confrontation directe et armée avec le pouvoir. Hier, les Abderahmane Chibane, Mohamed Tahar Aït-Aldjat, Abdelhamid Mehri, Ali Benhadj, Abdelkader Boukhamkham, Abou Djerra Soltani, Abdelaziz Belkhadem, etc, savaient qu'ils étaient devant un islamiste modéré et courageux. En fait, Sahnoun était un poète, un vrai. Son recueil de poésies, un gros volume de trois cents pages, demeure méconnu du grand public, tout comme ses écrits littéraires, de haute facture. La jeune génération connaît le leader islamiste, chef de la Rabita et fédérateur des partis islamistes, mais ne saura rien, ou presque d'un vieux poète, ami de Mohamed Laïd Al-Khalifa, de Ben Badis, de Tayeb Okbi, de Bachir El Ibrahimi et de Larbi Tebessi, qui a préféré quitter, à l'aube de ses 96 ans, un univers qui ne chantait plus.