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Les syndicats font de la résistance
Front social
Publié dans Liberté le 13 - 02 - 2006

N'ayant cure du refus exprimé par le Chef du gouvernement d'augmenter les salaires, ils entendent bien aller jusqu'au bout de leur démarche.
“Il est inconcevable d'augmenter les salaires et de prendre des risques dans l'utilisation des revenus générés par les hydrocarbures pour répondre aux besoins qui, même pressants, ne sont pas légitimes, contrairement à ce que le citoyen s'est habitué à entendre de la part de certains responsables au sein de l'Exécutif.” Déclaration du Chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, à la clôture de la session d'automne du Parlement, le 25 janvier dernier.
Les syndicats de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur, de la formation professionnelle, des vétérinaires… feraient mieux de ranger leurs banderoles et de ménager leurs cordes vocales, car leurs slogans sont une prose qui relate des chimères. Pas d'augmentation de salaires et surtout pas de grèves. “L'anarchie ne mène à rien”, tranche définitivement le patron de l'Exécutif. Sa sentence a de quoi déchaîner les passions. “Nous n'avons rien à perdre dans la mesure où nous n'avons déjà rien”, assène M. Lemdani du Conseil national des professeurs de l'enseignement secondaire et technique (Cnapest). Son organisation est l'une des cinq ayant paralysé les écoles les 15 et 16 janvier derniers. “Les travailleurs sont dans un tel état de désespoir qu'ils sont prêts à suivre n'importe qui, pour peu que leurs revendications soient entendues”, schématise M. Merabet, secrétaire général de la Fédération de la Fonction publique au sein de l'UGTA.
Des engagements non tenus
Reconnaître aux organisations autonomes un pouvoir d'influence sur le prolétariat est un aveu d'échec que la Centrale syndicale n'est pas près de faire, car il conduirait à douter de sa qualité de partenaire social exclusif. “La tripartite gouvernement-patronat-UGTA ne donnera rien, parce que les véritables acteurs seront absents. La négociation doit se faire avec les belligérants et non pas avec l'allié déclaré”, claironne de son côté M. Lemdani.
Le succès de la grève de janvier a transformé la mise en garde de Ouyahia en un défi que les petits clones de la FNTE (la colossale Fédération de l'éducation de l'UGTA) se sont empressés de relever. Presque instantanément, ils annoncent une nouvelle action pour ce mois de février. Alors que le Cnapest avait dû au préalable consulter sa base (une session du conseil national a été tenue le 9 février dernier), les états-majors du Conseil des lycées d'Alger (CLA), de l'Union nationale des personnels de l'éducation et de la formation (l'Unpef), du Syndicat algérien des travailleurs de l'éducation et de la formation (Satef) et du Syndicat d'entreprise de Béjaïa-UGTA (Sete) ont engagé une nouvelle bataille avec la tutelle. Ils décident d'organiser trois journées de protestation, les 19, 20 et 21 février prochains.
Un jour plus tôt, la Fédération de la formation professionnelle et de la jeunesse et des sports de l'UGTA ouvrira le bal en initiant, également, un mouvement de trois jours (18, 19, 20 février). Le Conseil national des enseignants du supérieur (Cnes) va plus loin en étalant sa grève sur une semaine (du 25 février au 2 mars). “Si la situation reste telle quelle, nous envisagerons d'autres actions avant la fin de l'année universitaire”, promet A. Boukaroura, patron du syndicat des enseignants universitaires. Le 24 janvier dernier, le Cnes, longtemps sur la touche, teste son emprise sur la base, en vidant les amphithéâtres, l'espace d'une journée.
Des assemblées générales, tenues à travers les universités du pays, sont transformées en exutoires pour les enseignants. Sous-payés mais pas soumis, ils optent pour la récidive. En 1999, le Cnes avait occupé les campus pendant plusieurs mois.
Trois ans plus tôt, il s'imposait comme un interlocuteur incontournable, obligeant le gouvernement de l'époque à reconnaître la justesse de ses revendications. Sauf que le chef de l'Exécutif est le même qui, aujourd'hui, statue sur leur illégitimité. “Nous sommes étonnés par ce changement de discours. En 1996, Ouyahia était favorable à des augmentations de salaires, au moment où le prix du pétrole était à 16 ou 18 dollars”, observe M. Boukaroura. Sans doute à cette époque, les débordements sur le front de la lutte contre le terrorisme ordonnaient-ils la nécessité de calmer le front social, du moins le contenir pour quelque temps en servant de vagues promesses à ses animateurs.
Depuis, aucun des engagements des pouvoirs publics n'a été réalisé. “Des commissions mixtes ont été installées, mais la tutelle refuse toujours d'aborder l'aspect salarial”, tonne le coordinateur national du Cnes. La réponse des pouvoirs publics est la même depuis des années. Sans la promulgation d'une nouvelle loi sur la Fonction publique, les mensualités ne peuvent pas être revalorisées. À
l'Education nationale, FNTE et syndicats autonomes sont las de cette réplique.
Quand la pression des travailleurs devient trop forte, les responsables de l'Exécutif tentent une dérobade en improvisant des commissions éphémères. “Le ministère de l'Education a supprimé la commission des salaires de manière unilatérale et a transformé celle de la retraite en portes ouvertes sur la Cnas. Nous avons été dupés !” admet M. Lemdani. Deux ans après avoir réalisé un challenge en fermant les établissements scolaires pendant tout un trimestre, le syndicat se retrouve les mains vides. Pis, ses leaders sont harcelés par la justice au prétexte que leur organisation n'est pas reconnue.
Pour avoir fait cause commune avec elle, l'UNPEF est menacée dans son existence. “Ils concoctent un dossier visant le retrait de notre agrément”, relate M. Ider, secrétaire général. Face à cette velléité de mise à mort, il se tourne vers le président de la République. “Tout ça parce que nous avons osé avancer une plate-forme de revendications !” tempête-t-il. Quête de dignité perdue, besoin de subsistance, cri de détresse dans un océan d'opulence… M. Ider met des mots plus simples sur sa douleur. “Nous vivons au seuil de la pauvreté. Il nous est interdit d'aller au marché, car nous n'avons pas de quoi payer nos achats”, confesse-t-il. Proviseur, il caracole au sommet de l'échelle salariale avec une mensualité de 28 000 DA. “Comment les répartir sur cinq enfants ? !” demande-t-il.
En moyenne, un enseignant de l'éducation nationale touche entre 15 000 DA et 20 000 DA. “Dans les années 80, ce salaire équivalait 10 fois le Smig (le salaire minimal garanti). Aujourd'hui, les prix des produits de base sont multipliés par 1 000. Il y a des enseignants qui ne peuvent même pas se permettre un sachet de lait tous les jours”, s'insurge Redouane Osmane, porte-parole du CLA. À l'université, la rémunération moyenne d'un enseignant oscille entre 18 000 et 24 000 DA (sans les primes). “Un professeur touche un cinquième du salaire de son collègue marocain”, observe, dépité, M. Boukaroura. Dans la formation professionnelle, la comparaison relèverait de la caricature. 13 000 DA est le montant de la mensualité d'un enseignant de ce secteur. Les travailleurs des corps communs, quant à eux, sont au ras du Smig. “Nous ne nous faisons pas d'illusions sur l'augmentation des salaires. Nous avons d'autres revendications relatives à l'équité dans la distribution des logements et l'augmentation de certaines primes”, révèle Tayeb Sana, secrétaire général de la fédération UGTA.
Une fonction publique appelée à “maigrir”
La formation professionnelle compte 32 000 fonctionnaires sur un total de plus d'un million 500 000 employés de la Fonction publique. Vieux de 20 ans, le statut qui les régit distingue les salariés permanents des contractuels et des vacataires, qui représentent plus de
300 000 de la masse en activité. À l'éducation nationale, ils sont légion. Réputée pour être budgétivore, la direction de la Fonction publique est sommée de réduire ses effectifs.
Le FMI l'exhorte à en rayer le tiers et à favoriser plutôt la formule de la contractualisation. “Ce n'est pas en diminuant la masse salariale qu'on réglera les problèmes économiques du pays, ni en privant les fonctionnaires d'augmentations. L'Etat a de l'argent, il doit nous payer”, s'élève R. Osmane.
La croissance, l'inflation, la rentabilité sont des concepts barbares, propres à Ouyahia, que les syndicalistes ne comprennent pas. “Nous ne pouvons pas lier la revalorisation des salaires des enseignants à la productivité. Nous ne travaillons pas dans une usine, mais à l'université où nous avons produit des millions de diplômes depuis l'Indépendance”, proteste Farid Cherbal, coordinateur du centre du Cnes. “Assurer la rentabilité de l'économie est la responsabilité du gouvernement, pas la nôtre”, affirme M. Boukaroura.
Pour M. Ider, Ouyahia ferait mieux de jeter l'éponge “car il admet son incapacité à remettre en marche la machine économique”, les lances des syndicalistes sont acerbes à l'image de leur amertume. “Intempestive” et “provocatrice”, la fin de non-recevoir du Chef du gouvernement les entraîne dans une attitude nihiliste. “Nous ferons grève même si elle ne nous apporte rien”, assure le coordinateur national du Cnes. “Nous ne céderons pas au chantage alimentaire”, clame A. Lemdani, sans avoir cure des ponctions sur salaires décidées à chaque fois par la tutelle pour punir les grévistes.
De même, la suspicion entretenue par le patron de l'Exécutif sur la représentativité des syndicats autonomes ne l'effarouche guère. “Il aurait pu dire que les augmentations sont injustifiées au lieu d'illégitimes, mais à travers cette qualification, il voulait montrer que nous sommes illégaux”, commente le leader du Cnapest pour qui tous les textes, la constitution en premier ainsi que le droit international donnent à son syndicat le droit à l'existence et le devoir de la revendication.
S. L.


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