L'amorce de négociations sur les conventions de branches devrait certainement faire baisser la tension sur le front social, notamment à la SNVI de Rouiba ; pour autant, la concertation permanente est aujourd'hui plus que jamais de mise avec la participation de l'ensemble des acteurs de la vie économique et sociale, afin de régler les problèmes de fond. Interrogé sur la question de l'augmentation des salaires qui secoue le monde du travail et du front social, tous secteurs confondus (notamment l'éducation nationale, la santé publique, la SNVI…), le Premier ministre Ahmed Ouyahia déclarait récemment que l'Etat faisait de son mieux pour améliorer le pouvoir d'achat par les salaires, les subventions et les prêts au logement à faibles taux d'intérêt. De fait, depuis le mandat du président Abdelaziz Bouteflika en 1999, le SNMG a été relevé trois fois, passant de 6 000 à 12 000 DA en 2007, puis une quatrième fois pour atteindre les 15 000 DA à la fin de l'année écoulée. Pourtant, la principale revendication des salariés qui ont eu recours à des débrayages multiples demeure entière, qu'ils soient représentés aussi bien par l'UGTA ou les syndicats dits autonomes (enseignement supérieur, lycées, médecins et spécialistes des hôpitaux, etc.). Il s'agit de parvenir à l'élaboration d'un régime salarial “digne”, pour reprendre les termes employés par les syndicats des personnels de l'éducation dont on a eu à connaître l'une des grèves les plus longues du mouvement syndical en Algérie, il y a deux mois. Toute la question est de savoir si l'amélioration du pouvoir d'achat par les salaires est aujourd'hui suffisante. Et d'abord, pour qui, comment et jusqu'où ? À l'heure actuelle, l'aliment de base du travailleur algérien, c'est-à-dire la pomme de terre, à titre indicatif, ne descend plus au-dessous de la barre des 45 DA le kilo, le prix de la viande est hors de portée, et dans un pays qui possède 1 200 kilomètres de littoral, la sardine ne coûte jamais moins de 120 DA. Autant dire qu'il faudrait situer le salaire minimum mensuel à 35 000 DA, comme l'a réclamé Louisa Hanoune, pour arriver au régime salarial préconisé par les syndicats autonomes, voire aller plus loin. Une étude commandée par l'Intersyndicale de la Fonction publique (coalition de syndicats autonomes) estime, elle, que le précédent salaire minimum garanti (à 12 000 DA) ne pouvait couvrir les dépenses d'une famille de quatre personnes plus d'une semaine. Selon la même étude, des salaires moyens compris entre 15 000 à 25 000 DA ne couvrent les besoins essentiels du même type de famille que pendant 10 jours. Et pour l'Intersyndicale, le SNMG devrait être à 38 000 DA, pour concilier les deux bouts. Plus pertinente semble être une déclaration à la presse faite par le président du Forum des chefs d'entreprise (FCE), M. Hamiani, qui a recommandé une augmentation modérée, en suggérant qu'une hausse salariale mensuelle à 20 000 DA collerait plus à la réalité économique. Il a nuancé, cependant, ses propos par le fait que l'augmentation des salaires a un impact sur les prix des produits. Dans l'état actuel des choses, et avec une économie dépendant quasi-exclusivement du prix du brut, tout cela serait simplement suicidaire. L'utilisation des revenus générés par les hydrocarbures En vérité, le pouvoir d'achat se trouve en perpétuelle dégradation en Algérie, quels que soient les efforts fournis par le gouvernement. La revendication salariale est, en effet, réduite à néant après coup par une inflation galopante. Celle-ci est passée de 1,6% en 2005 à 3% en 2006, 3,5% en 2007 et 4,4% en 2008. Et l'inflation se situera autour de 5,8% en 2009 en raison, notamment, d'une forte augmentation des prix des produits alimentaires frais, selon le FMI, qui plaide à juste titre pour une diversification de l'économie algérienne, afin de ne plus dépendre des seules ressources tirées des hydrocarbures, et de développer le secteur privé en tant que relais de la dépense publique. En outre, c'est la sphère informelle la plus grande bénéficiaire de ces désarticulations, si bien que dans son dernier rapport sur les perspectives économiques mondiales, le FMI estime que l'informel alimente de façon soutenue le marché du travail algérien. C'est dire aussi que des chiffres sur l'emploi sont souvent faussés à cause de ce fléau. Le problème est donc bel et bien ailleurs que dans une simple équation salariale. L'économie algérienne va de l'avant. Le lancement cette année du nouveau programme économique du président de la République pour quatre années (2010/2013) devrait coûter plus de 150 milliards de dollars. Or, cette économie, comme le soulignent les observateurs, reste principalement une économie rentière malgré tout. L'argument de la rente pétrolière vient, par conséquent, allègrement justifier le recours aux augmentations salariales, revendications récurrentes qui servent entre autres d'alibi à l'UGTA, d'ailleurs, pour maintenir la tête hors de l'eau. Cela quand le niveau des salaires devrait être en étroite relation avec le rapport si élémentaire productivité/croissance économique, d'une part. D'après un économiste de réputation, les statistiques montrent qu'en Algérie les salaires sont effectivement plus bas que ceux des pays à développement similaire, mais ils sont plus élevés que la productivité des Algériens ; ils sont donc subventionnés par la rente pétrolière. D'autre part, il apparaît inconcevable pour un Etat de prendre des risques quant à l'utilisation des revenus générés par les hydrocarbures pour répondre à des besoins qui, même pressants, ne sont pas légitimes. En d'autres termes, l'habitude de compter sur la hotte de l'Etat devra finir un jour ou l'autre à être obligatoirement supplantée par une contrepartie qui ne sera plus le baril de pétrole mais le travail de chacun, selon ses capacités et la sanction de ce travail selon ses mérites. Ajoutons que pour résorber le chômage et continuer dans la perspective de la création d'emplois qui a atteint près de 2 millions, créés entre 2005-2008, il faudra un taux de croissance de 6 à 7% minimum entre 2009-2014 pour 3 autres millions d'emplois. Selon les nouvelles prévisions du Fonds monétaire international incluses dans son rapport publié l'an passé, concernant les perspectives de l'économie mondiale pour l'année 2009, le taux de croissance de l'Algérie serait de +2,1% en 2009 pour remonter à +3,9% en 2010. En l'occurrence, bien en dessous de 6 à 7% et des objectifs pour l'instant. Un cadre ponctuel, hérité de l'ancien système Mais alors, à quoi sert la tripartite ? Autrement dit, ce dialogue épisodique à trois segments – en dehors de beaucoup d'autres partenaires qui sont tenus à l'écart – devra-t-il continuer à mener une concertation purement formelle, qui ne paraît quasiment jamais approfondie aux réalités que vit l'économie nationale, ni à celles du monde du travail dans son ensemble, ni à tous ces facteurs réunis qui font parfois embraser le front social ? La cherté de la vie, le pouvoir d'achat proprement dit sur le plan pratique et non en théorie, l'inflation, le taux de chômage et son corollaire la création d'emplois ainsi que l'emprise de la sphère informelle, sont des préoccupations qui intéressent tous les acteurs de la vie économique, et de manière générale toute la nation. La tripartite ne prend guère en charge non plus les problèmes plus larges que doit affronter l'économie algérienne, notamment le secteur industriel, et situe toujours son ordre du jour dans un cadre ponctuel, hérité de l'ancien système du parti unique et de la gestion centralisée, comme pour répondre à des préoccupations très circonstancielles. Aussi devient-elle de plus en plus une formalité qui tient compte exclusivement de la revalorisation du salaire de base. Pour en revenir au FCE, l'une des plus grandes organisations patronales du pays, il faudrait sans doute observer qu'avant la réunion de la tripartite du mois dernier, son président avait rappelé que l'organisation qu'il dirige —restée à l'écart elle aussi de la tripartite— est plutôt pour des concertations permanentes et pérennes entre les différents acteurs de la vie économique. Le responsable du FCE avait précisément proposé que la concertation soit permanente, institutionnelle et organisée, sous la forme d'un dialogue constant, organisé sur des volets essentiels du fonctionnement de l'économie, et avec le maximum de partenaires. Cela tombe sous le bon sens. Les décisions de la tripartite pourront ainsi concerner des éléments concrets, en touchant aux problèmes de fond. Aujourd'hui, elles anéantissent momentanément les poussées revendicatives, qui réapparaissent inévitablement quelque temps après, les mêmes causes produisant les mêmes effets. La concertation permanente, pérenne, est loin d'être une vision purement pragmatique dès lors qu'elle s'insère dans une démarche réaliste de consensus général, et ne se confine pas à une démarche de replâtrage sans fin. La question de la retraite anticipée aurait pu être mieux cernée en discussions d'une tripartite ouverte à la concertation, plutôt que de devenir du jour au lendemain un motif de contestation et de poussée de fièvre sociale. Un exemple parmi d'autres.