Les enseignants savent-ils pourquoi leurs grèves n'ont pas la popularité qu'elles méritent, pourquoi le pouvoir se permet de condamner, par avance, des actions décidées par les éducateurs des générations de demain ? C'est que le temps perdu à regarder le naufrage de l'enseignement national a fini par décrédibiliser l'institution scolaire. Quand, dans les années 1970 et 1980, le pouvoir recrutait des incompétents d'ici et des charlatans d'ailleurs pour former les futurs fanatiques, les instituteurs et professeurs d'alors n'ont pas su défendre leur corporation. Souvent, ils préféraient se convertir à des responsabilités d'administration, de “direction de la généralisation de la langue arabe” dans des entreprises publiques, à dispenser des cours privés pour arrondir les fins de mois, plutôt que de défendre la qualité de l'enseignement. La médiocrité a fini par faire la norme, et la cote de la profession s'en est ressentie. Des générations de diplômés, inaptes à la responsabilité, se sont succédé pour servir la gérontocratie dirigeante éternelle. À peine quelques enfants prodiges, prodiges parce que cooptés par de puissants parents ou parrains, réussissent à se hisser au niveau de nos indétrônables tuteurs. C'est tout de même désolant qu'il ne reste plus que les salaires à défendre dans une école pédagogiquement sinistrée et politiquement détournée. Le pouvoir, lui, sait ce qu'il a à préserver. Alors que l'enseignement public se débat dans ses soucis sociaux, il en profite pour abattre l'école privée. Ce sont quelques catégories intermédiaires, qui n'ont pas suffisamment de privilèges pour faire endosser à l'Etat la formation de leur progéniture dans une école de Paris ou de Londres, qui furent à l'origine de l'école privée en Algérie. Les maîtres du pays, eux, avaient pris l'option de l'éducation étrangère de leurs enfants au moment même où ils décidaient de dissoudre l'éducation de nos enfants dans ces centres d'endoctrinement qui font office d'école. Les “masses” qui applaudissent, votent, soutiennent ou jouent les chairs à canon des aventuriers politiques sont de dressage local ; les élites qui aspirent à diriger sont de formation étrangère. La médiocrité du niveau de l'école publique exclut les premiers de la course au pouvoir et garantit aux seconds le monopole de la compétence et de l'autorité. Il n'est un secret pour personne qu'aujourd'hui, la mesure du privilège, en Algérie, c'est la capacité financière ou politique d'élever, de soigner et de former ses enfants à l'étranger. Comme dans un processus d'émigration à rebours, la situation idéale consiste à installer sa famille dans une capitale occidentale et à bénéficier, à Alger, d'un statut qui permette le financement de cette vie rêvée... L'école privée, vouée à la production d'élites moyennes, tend à se démocratiser, des parents ayant fait l'option du sacrifice que demande la scolarité privée. Ce qui n'est pas du goût des partisans de l'éducation de classe. Et ce qui ne correspond point à la direction islamiste que nous avons adoptée par référendum. La fermeture des écoles privées n'est qu'une étape dans un processus cohérent dans sa trajectoire et dans sa finalité politique. M. H.