“Cendres qu'un vent disperse, un homme a vécu…”, avait clamé Omar El Khayam dans un de ses quatrains. Et justement, le désert, pays de tous les extrêmes, est aussi le domaine de la parole chantée et du vent qu'aucun obstacle ne retient. Alors, et avant que l'Ahellil du Gourara à la fois “poésie, chant, ballet et musique polyphonique” soit effacé des mémoires, Mouloud Mammeri avait, dès 1969, entamé un travail salvateur, celui de rassembler et surtout de transcrire ce que cette culture “sans écriture” a produit depuis, sans doute, des millénaires. L'ahellil du Gourara, l'ouvrage, a été réédité par le Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques. Structuré en deux grandes parties, ce livre, paru une première fois en 1984, comprend une introduction suivie des textes de l'ahellil dans les deux langues : le zénète local et une traduction en français. Dans cette étude de ce genre poétique, menacé de disparition, Mouloud Mammeri replace la parole chantée dans son environnement spatial et historique. L'espace est bien évidemment le désert du sud-ouest algérien à la fois protégé par la mer de sable, aux vagues à jamais figées mais également traversé par des courants civilisationnels aux apports sédimentés des siècles durant. Fortement judaïsé jusqu'au seizième siècle, le Gourara, ensemble de ksour voisins les uns des autres, connaîtra de nouvelles influences par l'action prosthétique de Abdelkrim El Maghili, qui mènera une campagne violente contre les populations juives contraintes à la mort, la fuite ou la conversion. Cette épisode marquera le début de l'influence des chorfa, “la plupart originaires du Maroc”. Le rôle que joueront ces derniers, supposés être les descendants du Prophète, sera également déterminant pour l'ahellil. Mouloud Mammeri explique cette influence des chorfa par leur souci de replacer les textes dans un cadre musulman plus orthodoxe. Car, estime-t-il, l'époque précédente était marquée par une vie religieuse multiconfessionnelle et, par conséquent, plus tolérante. “Faute de pouvoir (et peut-être dans certains cas, de vouloir) l'éradication totale d'un genre trop ancré dans les mœurs et dans les cœurs des populations, ils (les chorfa) ont tenu à lui donner un visage nouveau, conforme à la nouvelle idéologie”, écrit Mouloud Mammeri, qui reconnaît, par ailleurs, la difficulté de préciser l'origine de l'ahellil du Gourara comme son absence du tout, pourtant, voisin et semblable en biens des aspects de la vie. La deuxième partie est consacrée aux textes, mêlant le profane au spirituel et qui na manquent que très rarement d'invoquer une pléthore de saints. La vie des Ksouriens est dure, partagée entre le combat quotidiennement renouvelé contre les dunes prêtes à les engloutir et les assemblées nocturnes propices au délassement. Dieu, son Prophète, les chorfa mais aussi l'amour : “Jeunes filles, vous êtes les vases de parfums, le musc et le camphre qui embaument ceux qui s'en imprègnent (…) Cheikh Sidi Moussa, Dieu garde tes enfants, accorde-moi ton aide. Et vous, saints, votre commune assistance.” Car avant de devenir cendres, hommes et femmes partagent les mêmes sentiments. S. B. L'ahellil du Gourara, Mémoires du Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques. 443 pages, 750 DA