La ville de Tamanrasset accueille, pour la première fois, un événement consacré au patrimoine culturel immatériel. Placée sous le patronage de la ministre de la Culture et du wali de Tamanrasset, cette manifestation est organisée par l'Office du Parc national de l'Ahaggar (Opna), en collaboration avec l'APC d'Abalessa. Les festivités ont débuté, hier, par une journée scientifique tenue à la Maison de la culture de Tamanrasset et se poursuivront jusqu'au 26 février, cette fois-ci dans la commune d'Abalessa. Selon Farid Ighil Ahriz, président de l'Opna, archéologue de formation et chercheur, “le Parc de l'Ahaggar constitue un véritable musée à ciel ouvert car l'Homme y est présent depuis deux millions d'années et ce, sans interruption. D'une superficie de 450 000 km2, c'est le plus grand parc culturel au monde et le deuxième plus grand espace protégé après le Grœnland”. Le président de l'Opna a souhaité organiser cet événement afin de faire connaître ce patrimoine naturel et culturel hors du commun. Alors qu'il s'agit là d'une région particulièrement désertique et où les conditions climatiques sont extrêmes, la population locale a pu créer une richesse de cette aridité. “Les populations de l'Ahaggar ont su développer d'ingénieux mécanismes et moyens d'adaptation pour faire face à l'aridité et au manque de ressources vitales”, indique-t-il. Farid Ighil Ahriz s'est tout particulièrement intéressé au patrimoine immatériel, constitué de savoir et savoir-faire ancestraux. Plus subtile et surtout intangible, cette richesse est d'autant plus fragile et difficile à préserver. “Ce savoir et savoir-faire est en phase d'abandon à cause des impératifs du développement. Aujourd'hui, il est urgent de prendre en charge le patrimoine immatériel dans toute sa diversité. Il s'agira de le préserver, de le conserver mais surtout de le mettre en valeur en le transmettant”, précise-t-il. Pour cette première édition, mais aussi pour les prochaines à venir, un invité d'honneur est désigné. “Cette année, nous avons choisi de mettre en avant l'Ahellil du Gourara (de Timimoun) parce que ce chant a été classé, en 2005, patrimoine de l'humanité par l'Unesco”, confie encore le président de l'Opna. Ce choix a de toute évidence été pris en compte dans l'agencement de cette journée scientifique puisqu'une des communications y a été entièrement consacrée. C'est Rachid Bellil du Centre national de recherches préhistoriques et historiques à Alger (CNRPAH) qui a décrit ce chant. Citant une recherche étymologique faite par Mouloud Mammeri, le conférencier explique qu'Ahellil est un mot dérivé de la racine Hallil qui veut dire “faire des louanges au Seigneur”. L'ahellil est de la poésie dansée et chantée en zénatia (un dialecte de la région du Gourara qui est une des dernières régions où il est encore pratiqué). Même si le terme ahellil existe dans différentes régions, celui du Gourara est unique tel qu'il est pratiqué. C'est un genre musical mixte (hommes et femmes) et il se chante debout comme assis. Selon l'expert, il se pratique sans limitation de nombre, “autrefois, il y avait des ahellil à 100 et 150 personnes”. Ces poésies chantées étaient au fil du temps améliorées. On y ajoutait souvent des couplets, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. “L'évolution de l'ahellil a disparu, il n'y a plus de création spontanée en zénatia car cette langue est menacée”, explique M. Bellil. Ce dernier ajoute que “l'ahellil est resté pratiquement inconnu jusqu'en 1970, lorsque Mouloud Mammeri, alors directeur d'un centre de recherche, charge une équipe de chercheurs de l'étudier”. Durant des années, cette équipe va enregistrer ces chants en milieu naturel puis transcrire les poèmes en zénati avant de les traduire et de les étudier. Depuis que l'ahellil est classé patrimoine de l'humanité, sa sauvegarde n'est toujours pas assurée. “Sur le plan symbolique, classer l'ahellil est très flatteur, seulement l'Unesco demande qu'on le protège et qu'on pérennise sa transmission. Pour cela, nous avons imaginé un projet qui compte trois principaux volets : poursuite du travail de transcription, organiser un festival annuel de l'ahellil et mise en place d'ateliers d'apprentissage de la poésie dans les CEM, destinés aux enfants qui parlent la langue. Nous espérons enclencher de cette façon un processus de retour des jeunes générations à l'ahellil”, conclut-il. Un autre genre musical a été présenté cette fois-ci par Dida Badi du CNRPAH. Il s'agit de l'imzad qui est également une poésie chantée. Les femmes détiennent les mélodies tandis que les hommes chantent les poésies. “L'imzad illustre la façon de voir la société pour ceux qui le pratique. Il a une véritable fonction sociale en continuelle évolution”, affirme Dida Badi. Ce dernier a mené une étude de prospection et d'identification des détenteurs de ce savoir dans le Hoggar et le Tassili entre 2000 et 2005. “Nous avons recueilli dans ces deux régions une quarantaine de mélodies que nous avons systématiquement enregistrées et une soixantaine de poèmes que j'ai moi-même traduits et publiés. Ces mélodies peuvent se jouer en solo comme elles peuvent s'accompagner par de la poésie. Nous pensons que la mélodie a survécu à la poésie car le lexique disparaît plus facilement. Nous avons également découvert qu'il y a un air initial autour duquel s'articulent les différentes mélodies. Cet air principal renvoie à un arbre généalogique qu'il faut impérativement protéger afin que l'imzad ne disparaisse pas”, explique Dida Badi. Néanmoins, il note que les détenteurs de ce savoir-faire sont tous d'un âge très avancé et qu'il est donc urgent d'assurer sa transmission aux jeunes générations. Les prochaines journées de ces festivités se dérouleront à Abalessa où sera reconstitué un véritable campement traditionnel. Des démonstrations de chant et de danse sont au programme et par cette saison idéale, le spectacle promet d'être grandiose. A. H.