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Des Irakiens s'expriment
DE PASSAGE A AMMAN
Publié dans Liberté le 13 - 02 - 2003

Bagdad-Amman : 900 kilomètres, 12 heures de route. Chaque jour, des Irakiens font le trajet entre la capitale irakienne et celle de la Jordanie. Routiers, chauffeurs de taxi, hommes d'affaires. Les uns retournent en Iran, où ils résident, les autres fuient le pays pour reconstruire leur vie. Que pensent-ils de la guerre ? De Saddam ? Comment voient-ils l'avenir ? Reportage.
B., qui entend garder l'anonymat, habite Bagdad avec sa femme et ses deux filles. C'est un grand gaillard de 37 ans. Neuf ans durant, il a conduit un camion-citerne entre Bagdad et Amman. L'an dernier, il s'est acheté un véhicule 4x4 pour monter sa propre entreprise de taxi. Comment ? Avec quel argent ? Il reste muet, mais à la frontière, l'essence alimente un commerce florissant.
A Ramadi, par exemple, la première grande ville irakienne en venant de Bagdad, la majeure partie des habitants vivent de contrebande. “Ils sont tous sunnites, détestent Saddam, mais comme le régime ferme les yeux sur leur trafic, ils font mine de collaborer”, explique B. “Avant de passer en Jordanie, l'homme a fait le plein : 5 euros pour 160 litres d'essence (15 fois moins cher qu'en Jordanie). Acheté en Irak, le carburant est revendu en Jordanie. Ici, l'embargo n'est qu'un vain mot. Et si les restrictions imposées par la communauté internationale ont appauvri beaucoup d'Irakiens, elles ont enrichi les plus ‘malins'”.
Décontracté, B. a retiré ses chaussures pour conduire sa grosse cylindrée, un pied sur l'accélérateur et l'autre sur le tableau de bord. La route est droite, sans danger. Deux fois par semaine, entre Bagdad et Amman, B. transporte des clients privés, des hommes d'affaires irakiens ayant des chantiers en Jordanie ou des familles partant pour la Jordanie. Il débourse 300 euros pour 12 visas d'entrée. Les 100 euros de bénéfice net qu'il empoche pour chaque trajet lui permettent de vivre confortablement en Irak où les revenus mensuels d'une famille dépassent rarement 10 euros. Entre les deux capitales, c'est un va-et-vient incessant. B a peur de la guerre. Il l'avoue : “Les miens habitent Bagdad, je tremble pour eux.” Alors il tient de se rassurer : “Saddam partira avec et l'embargo sera levé.” Il se demande tout de même, si par précaution, “il ne devrait pas faire venir sa famille en Jordanie”.
Au poste-frontière de Karama,
B. attend les contrôles. Il salue Ranem (appelons-le ainsi), son ex-collègue, qui, chaque jour, franchit la frontière avec son camion-citerne. La guerre ? Saddam ? Ranem se tait. Un de ses collègues barbu, coiffé d'un keffieh, prend la parole pour dire que “Saddam Hussein est un grand chef de guerre et qu'il vaincra les Américains”. Il ne veut pas dire son nom. Il se sauve. En Irak, un mot de trop peut conduire au cimetière. B. raconte l'histoire d'un jeune de son village qui en 1997 avait refusé de signer une lettre-circulaire en faveur du Raïs et du parti au pouvoir (le Baas). “Il a été arrêté le soir même, et deux jours après son corps était ramené à ses parents avec la mention “traître” écrite en grosses lettres sur son cercueil.”
Pour entendre les Irakiens s'exprimer sans crainte, c'est à Amman qu'il faut aller où 400 000 d'entre eux (10% de la population totale) résident illégalement. Passés au royaume hachémite avec un visa touristique de six mois, ils sont restés au-delà. La Jordanie ne les reconnaît pas comme réfugiés. Sans papiers et sans droit un grand nombre, pour subsister, travaille au noir, exploités par les patrons locaux.
Mahmoud et sa femme Zora sont employés depuis 1998 dans un atelier de chaussures. Ils gagnent 400 euros par mois à eux deux. “C'est toujours mieux qu'en Irak” se résigne l'épouse. Nous avons demandé un visa pour l'Angleterre. Nous attendons.” Si beaucoup comme Nasser ont fui la répression, la plupart partent pour des raisons économiques. “Avec l'embargo, nous n'avions plus de quoi élever nos enfants. En Irak, nous vivions grâce aux distributions gratuites de produits alimentaires”, explique Nou, une femme d'une trentaine d'années. Elle est catégorique. Elle compare le régime irakien au mur de Berlin. “Si les Américains entrent à Bagdad, le régime s'écroulera en deux jours. A l'intérieur du pays, 95 % des Irakiens sont psychologiquement prêts au changement.
Personne n'aime Saddam. Les soldats irakiens déserteront au premier coup de canon.”
Dans l'unique pièce d'un taudis du quartier d'Achafief, à l'est d'Amman, une quinzaine d'illégaux irakiens commentent le discours de Colin Powell, le secrétaire d'Etat américain qui, le 5 février dernier, a présenté devant l'Assemblée des Nations unies, un réquisitoire contre le régime irakien. Venu de Moussoul (nord de l'Irak), Youssef s'étend sur les 18 camions-laboratoires que posséderait son pays, selon Powell. “S'ils sont mobiles et secrets ces camions, comment, demande-t-il, les Américains ont-ils pu les compter ?” Autour de lui, les rires fusent. “C'est n'importe quoi ces preuves.” Riad (42 ans) se sent bafoué dans son orgueil national : “Mais pour qui se prend Powell quand il dit que notre pays sera châtié comme il le mérite ?” “Que les Américains chassent Saddam et qu'ils s'en aillent aussitôt, poursuit un petit homme barbu. Nous voulons tous la chute de Saddam, mais sans la guerre. Notre peuple a déjà trop souffert pour supporter une épreuve de plus.”
Anouar avoue qu'il en veut à la France de ne pas vouloir faire la guerre. “Nos parents, qui sont restés en Irak, souffrent de ce régime. Les dirigeants français pensent-ils à eux quand ils refusent de combattre ?” Concernant les Américains, il ajoute : “Pourquoi ont-ils attendu autant d'années avant de s'apercevoir que Hussein était un sanguinaire. En 1988, quand il a gazé les villages kurdes du Nord, les Occidentaux se sont tus. Et en 1991, les Américains ont aidé Saddam à se maintenir en place alors que son armée était en déroute face aux chiites du Sud qui s'étaient révoltés contre lui ?”
Tarek pense déjà au remplaçant de Saddam : “Nous ne voulons pas d'un Irakien de l'étranger. Ils ont fait partie des tortionnaires avant de fuir le pays et de passer dans l'opposition.” Quand Saddam sera renversé, Iman ne veut pas revenir en Irak. Chrétienne (3% de la population), la jeune femme craint de voir s'installer un gouvernement trop faible qui ne pourra pas garantir la liberté aux minorités. “Pour nous protéger des extrémistes musulmans, il faudra un pouvoir fort.” A l'opposé, Ahmad, musulman, craint que les Américains, une fois en Irak, ne répriment l'islam : “Ils sont chrétiens et haïssent les musulmans, surtout après les attentats du 11 septembre 2001 à New York.” “De toutes les façons, note Anouar, entre l'Irak et ses voisins, il y aura toujours des tensions dans la région. Ce n'est pas parce que Saddam s'en ira que le pays connaîtra la liberté et la prospérité. Je veux m'exiler dans un pays où mes enfants pourront étudier et se construire un avenir. En Irak avec ou sans Saddam, il faudra des années pour que l'on puisse vivre en paix.”
L. B.
OTAN
Pas de compromis
La réunion hier matin des ambassadeurs de l'OTAN portant sur l'Irak s'est achevée vers 11 h 00 locales (10h00GMT), sans qu'un compromis n'ait pu être trouvé, a-t-on appris de sources diplomatiques. Le secrétaire général de l'OTAN, George Robertson, a présenté à cette occasion un projet de compromis centré sur les mesures de soutien à la Turquie, a-t-on confirmé de sources diplomatiques. Il s'agit de la quatrième réunion de ce type en trois jours qui se solde par un échec.


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