Hadjitek, ‘ala ouahde soltane ; Oua ma soltane, ghir Allah ! (Je vais te conter l'histoire d'un sultan, bien que seul Allah soit Le Sultan !). Formule introductive, intériorisée, puis transmise au fil des siècles, au fil des générations, au fil de la mémoire. Formule magique qui, aussitôt prononcée, envoûte, calme, capte l'attention, l'emprisonne par la magie du verbe et ne la libère qu'avec la formule conclusive telle celle puisée dans les contes berbères : “Mon conte s'est déroulé comme un fil de soie, Je l'ai conté à des seigneurs.” Elles, elles sont huit, mais souhaitent agrandir leur cercle ; elles, sont travailleuses, femmes au foyer ou retraitées ; elles, sont bourrées de talents, pleines d'idées et débordantes d'enthousiasme et d'énergie ; elles, ce sont Malika et Assia, Djazia et H'nifa, Yamina et Fatiha, ou encore Zineb et Nina. Elles, se définissent en tant que femmes ordinaires et extra-ordinaires. Arabe ou berbère, algérien avant tout, puisé dans le terroir ou créé, inventé, construit, le conte constitue le lien puissant qui les unit. Elles, ce sont les femmes conteuses. “L'atelier des femmes conteuses” a vu le jour, il y a deux ans ; M. Si Mohamed Baghdadi en est l'animateur. À leur actif, plusieurs manifestations littéraires, poétiques et artistiques, un recueil d'histoires vraies, recueillies par les conteuses a été édité par les éditions Chihab sous le titre Destins de femmes. Le moindre événement leur sert de prétexte pour exercer leurs talents. Les qaâdas ramadanesques sont agréablement mises à profit par l'atelier pour se produire lors des soirées commémoratives. La dernière en date a eu lieu à Ryadh el Feth (Ramadan 2005) lors de la commémoration du 40e jour du décès de Sadek Aïssat ; au programme : lecture de poésies et extraits de ses livres. À la salle Ibn Khaldoun, les conteuses ont puisé dans le terroir les plus belles histoires pour une soirée agrémentée par Réda Doumaz, organisée par l'établissement Arts et Culture. La journée de l'enfant permettra aux conteuses d'exceller dans leur art. Puisant dans une thématique riche et variée qui gravite autour des droits de l'enfant (santé, famille, instruction, protection, etc.), elles créent des contes autour de ces thèmes. Le sujet étant défini, la fertilité de leur imagination fait le reste ! Le 8 Mars est l'occasion pour les conteuses d'honorer les femmes à leur manière : elles interprètent sur scène l'un de leur jeu narratif favori : “La tache sur le mur”. Le 9 mars, à la salle Ibn Khaldoun, un hommage aux moudjahidate a été rendu par une lecture de poésie de Nadia Guendouz et d'Anna Greki, sur une musique de Réda Doumaz. C'est le code de la famille — et ses articles discriminatoires — qui est tourné en dérision par l'atelier ; saltimbanques des temps modernes ces mammies se couvrent du masque théâtral et endossent le rôle de la femme répudiée, de la divorcée par khôl' ou encore de celle que l'époux délaisse pour prendre une seconde épouse plus jeune ; un jeu de rôles dans lequel la magie en est le principal acteur et qui se déroule sous forme de pièce théâtrale, alliant réalité et fantastique, coutumes tournées en dérision et rire à profusion ! L'intrusion d'objets magiques qui parlent (poupée, crayons de couleurs) dédramatisent les situations conflictuelles et transforment des tragédies en mélodrames. Et comme ces conteuses ont plus d'une corde à leur arc, elles sont aussi poétesses ! Drôles, tendres, touchantes, parfois véhémentes, elles déclament leurs vers, leurs rimes et leurs hémistiches lors des rencontres qu'elles organisent. Après avoir été provisoirement hébergées au centre de documentation sur les droits des enfants et des femmes (Sacré-Cœur) aujourd'hui, l'atelier des femmes conteuses est SDF. Ni abri, ni local, ni scène, ni salle. Le cercle Frantz-Fanon y autorise leurs répétitions. Le centre culturel Mohamed V étudie leur candidature. Tous les centres culturels d'Alger sont interpellés avant que l'atelier ne se transforme en cercle des conteuses disparues ! NORA SARI