Ils sont des milliers d'Algériens et d'Algériennes dans l'attente de pouvoir bénéficier d'une greffe de la cornée, comme seul recours pour sauver leur vue. La solution pourrait venir de l'Institut Pasteur, lorsque ce dernier parviendra à importer un quota de greffons de l'étranger. Mais certains, qui ne peuvent plus attendre, se rabattent sur le circuit informel. Récemment, la presse nationale se faisait l'écho d'un exploit médical qu'une équipe de chirurgiens ophtalmologues de l'hôpital Mustapha-Pacha avait réalisé en effectuant, en une seule journée, pas moins de 6 greffes de la cornée suivies, peu de temps après, par l'EHS d'ophtalmologie d'Oran (ex-clinique Lazreg). Cet événement soulève et rappelle en fait le véritable problème de santé publique que représentent les cécités cornéennes. En effet, en Algérie, les cécités d'origine cornéenne représentent 20% des cas chez les individus, les 80% restants sont dus à d'autres maladies : infections à répétition, consanguinité, maladies comme le kératocome, etc. 60% des personnes atteintes de cécité cornéenne ont moins de 40 ans. Ce sont donc des personnes qui pourraient être encore actives et autonomes. Aujourd'hui, les progrès de la chirurgie et de la greffe de tissus et d'organes ont, de par le monde, quasiment résolu ce problème. En Algérie, bien que la maîtrise de la chirurgie de la greffe de la cornée soit réelle, aussi bien dans le secteur public que dans le privé, le problème reste entier. En effet, faute de disponibilité de greffons de cornée, ils sont des milliers d'Algériens et d'Algériennes, parfois très jeunes, à ne pouvoir bénéficier à temps d'une greffe de la cornée. À terme, ils se retrouvent aveugles, lourdement handicapés. C'est en février 2004 que les premières opérations de greffe de la cornée ont été pratiquées à Oran au profit de 5 patients, 4 jeunes filles et un adolescent : “Ces 5 patients, qui se trouvaient sur la liste, ont été sélectionnés par le conseil médical, car il faut s'assurer qui parmi les demandeurs nécessitent une opération en urgence. Leur opération a été une réussite. Nous les suivons jusqu'à présent, et aucun rejet ni complication n'ont été signalés”, nous précise notre interlocuteur avant de rajouter : “L'opération en elle-même ne présente pas de difficultés, cela dure tout au plus 20 minutes. Mais le vrai problème que nous rencontrons, c'est l'indisponibilité des greffons ; il y a une pénurie et nous attendons que l'institut Pasteur nous livre de nouveaux greffons pour agir.” Après donc une interruption de près d'un an, l'équipe chirurgicale de l'EHS d'ophtalmo d'Oran a pu tout récemment reprendre ses greffes de cornée grâce à la livraison par l'institut Pasteur de 10 nouveaux greffons. Une situation lourde à gérer pour les ophtalmologues et les patients. Le prélèvement de la cornée se fait à partir de cadavres dans un délai ne dépassant pas 12 heures après la mort du donneur. Mais aujourd'hui, dans notre pays, il n'y a pratiquement pas de prélèvement de cornée sur les cadavres, le blocage culturel récurrent dans notre société autour des dons d'organes en général a poussé les autorités compétentes à avoir recours à l'importation de greffons de cornée. Un marché existe pour cela, dominé par les Américains qui sont les premiers exportateurs dans le monde de greffons de cornée. À l'heure actuelle, seul l'institut Pasteur est habilité à importer à partir des USA et de la France des greffons de cornée. Le coût d'un greffon de cornée est de 150 000 DA ! Mais certains de nos interlocuteurs, exerçant notamment dans le secteur privé, et qui tiennent à garder l'anonymat, ont avoué que des greffes de cornée sont pratiquées dans des structures privées. “Certains confrères ont effectivement pratiqué des greffes de cornée avec des greffons qu'ils ont ramenés eux-mêmes de l'étranger dans leurs bagages. C'est vrai que c'est un risque qu'ils prennent car en cas de complications, ils devront justifier la provenance des greffons et s'expliquer. Ils ne s'approvisionnent pas auprès des circuits douteux ; ils s'adressent à des centres, les achètent et ont des certificats de traçabilité pour déterminer la provenance du greffon et pouvant vérifier la virologie.” Certes, il n'existe aucune preuve de ce circuit d'importation “au noir” même si au ministère l'on reconnaît avoir entendu “parler de cela”, sans plus. Pour les patients qui acceptent “ce marché”, il leur en coûtera de 22 à 25 millions de centimes pour une seule opération. Un coût qui ne compte pas quand il s'agit de sauver ses yeux. Alors que l'institut Pasteur s'est refusé catégoriquement à tout commentaire sur l'importation des greffons de cornée, le chargé de la communication du ministère de la Santé a bien accepté d'aborder ce problème de santé publique : “Il faut que le circuit d'acquisition soit clair, les trafics d'organes existent dans le monde, et pour ce faire, il faut s'assurer de la traçabilité du greffon. C'est pourquoi en Algérie seul l'institut Pasteur est habilité à en importer d'autant plus qu'il y a des précautions à prendre quant à la virologie du greffon qui doit être contrôlé. Il ne faudrait pas que le receveur attrape une maladie.” Pour ce qui est des aspects réglementaires régissant la greffe de la cornée et les dons d'organes, notre interlocuteur estime qu'il est indispensable de mettre en place tout un système, des structures, des établissements pour la conservation des organes avec ce préalable que les campagnes de sensibilisation menées en direction de la population pour favoriser les dons de cornées, en premier, portent leurs fruits. F. BOUMEDIENE