Ils appellent leurs compagnons des autres wilayas à se joindre à cette action, programmée pour le début du mois de mai. L'ensemble des effectifs s'élève à 80 000 éléments. Ils sont les sacrifiés de la réconciliation nationale. Des parias. Les Patriotes en sont convaincus. “Les gens ont peur de nous approcher comme si nous étions les vrais terroristes. On nous traite de fous, de drogués, de tueurs. Certains croupissent en prison. D'autres sont estropiés. Le reste mendie de quoi nourrir femmes et enfants. Nous n'avons jamais pris les armes pour gagner notre vie, mais avec le risque de la perdre. Il est dit que le terrorisme est fini, pourtant des Patriotes meurent toujours dans des embuscades et des ratissages. En retour, leurs familles sont jetées à la rue. Les veuves doivent savoir manier la serpillière pour donner du pain aux orphelins…” Abandonnés au milieu du gué, désemparés, ils ne savent pas quelle direction prendre pour trouver le chemin du salut. Toutes les portes leur sont fermées. “J'ai appris qu'un bureau a été ouvert à la mairie pour le recensement des victimes de la tragédie nationale. Après avoir appris que je n'étais pas au maquis, les agents m'ont refoulé. Aujourd'hui, il faut avoir été terroriste pour prétendre à des droits”, relate un Patriote de Boufarik avec beaucoup d'amertume. Il prenait part hier matin à une réunion inédite qui a rassemblé plus de 200 résistants de La Mitidja au siège du détachement de Boufarik, baptisé au nom du défunt Mohamed Sellami, figure emblématique de la résistance à Haouch Gros. “Ils en ont gros sur le cœur”, observe Mohamed Louzli, un des responsables de l'association. Autour de la table où il est assis, en qualité de modérateur, ses compagnons d'armes se bousculent pour prendre la parole. Leur objectif à tous étant d'alerter les pouvoirs publics et l'opinion sur leur pitoyable sort. La proposition d'une marche en direction de la capitale, plus précisément vers le siège de la présidence de la République est accueillie par des ovations. Fort d'un effectif de 6 000 hommes (dont 1 470 opérationnels), les Patriotes de La Mitidja lancent un appel à tous leurs camarades du territoire national (plus de 80 000) afin de se joindre à cette action, programmée pour le début du mois prochain. Pour sa part, M. Louzli préconise l'envoi d'une lettre au président Abdelaziz Bouteflika et d'une autre à Me Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative de défense et de promotion des droits de l'Homme (Cncdpdh). “Nous avons déjà écrit à Ksentini. Il n'y a pas de raison pour que tout le monde soit indemnisé sauf nous”, réplique l'un de ses compagnons. Dans la cour de ce cantonnement, implanté au milieu d'une cité populaire, du nom exotique de Dallas, les esprits s'échauffent. “La situation est en ébullition”, note Boualem Zebich, chef de la coordination de Blida. De Meftah à Oued Djer en passant par Larbaâ, Soumaâ, Ouled Chebel, Houach Gros…, tous ces hauts lieux de la résistance populaire au terrorisme, des gars sont venus. Les yeux rougis par de longues années de veille dans les maquis, les visages brûlés par le soleil, l'habit modeste, ils portent sur leur corps et dans leur regard, les stigmates de leur détresse. Plein de remords, un vieux maquisard se reproche d'avoir conduit sur les chemins escarpés de la résistance des jeunes. “Certains avaient 17 ans. Aujourd'hui, ils sont trentenaires, mariés avec des enfants, mais sans nul moyen de subsistance”, regrette-t-il. Salim est l'illustration de ce gâchis. En 1995, il intégrait un détachement de Patriotes, comme son frère aîné. À cause d'eux, la maison familiale a été bombardée par les terroristes. Sans toit, son vieux père et sa fratrie résident dans un gourbi niché sur les berges d'un oued. “Mon frère a perdu l'usage de son œil et de son oreille”, confie-t-il avant d'éclater en sanglots. Assis à quelques pas de lui, son aîné acquiesce par un long soupir. Dans la foule, des hommes, debout sur des béquilles ou appuyés sur des cannes, forment le contingent des blessés dont nul ne reconnaît le préjudice. “Il nous faut un statut. Que chaque catégorie de Patriotes soit prise en charge. On doit trouver du travail aux plus jeunes, indemniser les plus âgés, octroyer une pension aux familles de martyrs”, égrène un Patriote. Refusant de parler de politique, les résistants en font à leur manière. “Dans la charte, nous sommes mis au même rang que les terroristes. Le Président dit que personne ne sera poursuivi. Comme si nous avions des choses à nous reprocher. Le pire est que les terroristes sont récompensés, pas nous”, s'indigne l'un d'eux. Les Patriotes encore en activité assurent qu'ils n'ont pas reçu leur traitement depuis quatre mois. “Je n'ai même plus d'argent pour acheter mes médicaments”, se plaint le chef des Patriotes de Soumaâ. Ses pieds sont gangrenés à cause des nuits glaciales qu'il a passées dans les fourrés. “En 1994, des officiels se sont succédé ici pour nous combler de promesses. Maintenant, ils nous ont oubliés. Avec notre sang, nous avons libéré cette terre où ils viennent se promener en jogging et cueillir des oranges dans ses vergers”, tonne M. Louzli. Il arrive aussi aux Patriotes de croiser des terroristes relâchés de prison et des repentis qui les toisent du regard, avec défi et arrogance. “L'adjoint au maire de Larbaâ avait été impliqué dans une affaire terroriste. Libéré, il a repris du service à l'APC où il se charge d'enregistrer à l'état civil, les enfants nés au maquis”, raconte quelqu'un. Il avoue qu'il rase les murs depuis que les anciens terroristes de son quartier sont revenus. Sous la houlette de leur ancien “émir” Kertali, ils règnent en maîtres. “Ils ont accaparé tous les magasins du nouveau marché”, révèle le Patriote de Larbaâ. Encore en activité, il affirme qu'il a refusé de reprendre du service faute de moyens et de rétribution. “Qu'adviendra-t-il de nous ?” s'interrogent tour à tour ses compagnons. Autrefois des héros, les Hommes debout sont devenus encombrants. Même les sociétés de gardiennage et la garde communale qui les avaient embauchés, n'hésitent plus à les mettre dehors sous prétexte qu'ils n'ont pas le niveau scolaire suffisant. “Quant nous avions pris les armes, personne ne nous avait demandé si nous sortions de l'université”, ironise un résistant de la première heure. S. L.