Igoujdhal, ce village qui a défié la peur en 1993 et pris les armes contre les hordes intégristes, n'est pas resté insensible quant au projet de la charte pour la réconciliation nationale. Sis dans la commune d'Ath Chafaâ, à 95 km au nord-est de Tizi Ouzou, le village des Patriotes et des Groupes de légitime défense (GLD) accueille avec une grande appréhension le projet de charte sur lequel le peuple algérien est appelé à s'exprimer demain par voie référendaire. « Si c'est une initiative qui va ramener la paix, on est pour », se contentera de lâcher ammi Ahmed, un septuagénaire parmi les premiers Patriotes d'Igoujdhal. Ne saisissant visiblement pas les enjeux du projet de Bouteflika, cet ancien moudjahid cache mal la gêne qui s'empare de lui lorsqu'il a été invité à se positionner par rapport à cette charte. Revenant longuement sur les circonstances qui ont incité la population du village à se mobiliser pour se défendre contre les groupes terroristes, il fera preuve d'une grande prudence pour évacuer toute expression qui laisse apparaître son opinion de cette charte. Par la suite, c'est Meziane, le compagnon d'armes de ammi Ahmed, qui mettra fin à son mutisme pour exprimer ce que les villageois d'Igoujdhal pensent de la charte de Bouteflika. « A travers cette charte, il est demandé au peuple de pardonner. Ce pardon, à son tour, exige des concessions, mais ceci doit avoir des limites », dira Meziane avant d'ajouter : « On peut concéder et oublier le préjudice, tant moral que matériel, que les longues années de terreur ont causé, mais ce n'est pas au point de demander aux familles des victimes d'oublier le sang qu'ont versé les leurs. » Dans l'ensemble, même s'ils ne s'opposent pas publiquement à la réconciliation, ils refusent d'être mis sur un pied d'égalité avec les terroristes à l'ombre de cette charte. Dans la réalité, les attentes de ces patriotes ne sont pas à l'abri de la contradiction et de la déception. En effet, il suffit d'évoquer les passages qui, dans ce texte de la charte, soulignent les mesures à prendre pour la réinsertion des terroristes dans la société et la prise en charge de leurs familles pour comprendre que le projet de Bouteflika ira jusqu'à mettre sur le même rang toutes les parties, allant du terroriste jusqu'à la victime en passant par le Patriote et les GLD. Pis, c'est un renversement des rôles, le bourreau d'hier devenant la victime de demain. Aujourd'hui, les patriotes d'Igoujdhal se sentent comme délaissés par les pouvoirs publics. « C'est une forme d'amnésie ni plus ni moins », lâche un autre jeune Patriote pour qui le souvenir des années de braise est amer. Sur les retombées de la réconciliation à l'avenir, les Patriotes d'Igoujdhal font preuve de scepticisme. D'ores et déjà, ils rejettent l'idée de restituer les armes que les autorités leur ont données. « Nul n'est capable de nous garantir la paix effective au lendemain du référendum pour que nous acceptions de remettre ces armes », avertit un GLD de ce village. Igoujdhal, se souvient-on, a été le premier village à travers le pays où les citoyens ont pris la courageuse initiative de prendre les armes contre les groupes terroristes. Cela remonte à 1993, se souvient ammi Ahmed. En 1994, la mobilisation s'est accentuée dans l'ensemble du village. « Lorsque nous avons appris que des terroristes ont fait irruption dans des villages voisins et y ont pris des armes des habitants, dira ammi Ahmed, nous nous sommes constitués en groupes de vigiles prêts à stopper toute éventuelle attaque contre le village d'Igoujdhal. » Le 31 juillet 1994, des groupes armés tentent quand même de s'y aventurer avant d'affronter la résistance des villageois qui étaient aux aguets. Il y a eu un accrochage durant près de deux heures avant que les terroristes ne battent en retraite. De suite, le wali de Tizi Ouzou de l'époque (l'actuel ministre de l'Habitat, M. Hamimid en l'occurrence) offre une cinquantaine d'armes de chasse aux villageois. Quelques mois plus tard, des Groupes de légitime défense et des groupes de Patriotes, avec des armes de guerre, ont été structurés à Igoujdhal. Autant de sacrifices durant les années d'horreur qu'en 2005 un projet de charte veut jeter aux oubliettes !