Aucune esthétique, aucune recherche, aucun goût. La symétrie du béton et la rigueur des alignements ont tué la fraîcheur des vacances. C'était l'époque vieille France, un peu glamour, un peu surannée où les bonnes mœurs avaient un sens, l'époque où une plaque discrète invitait, à l'entrée de la ville déjà, les visiteurs d'une heure ou d'un jour au silence et à la courtoisie : c'était l'époque où la sieste dans l'Algérie de papa était aussi sacrée que la Pastis. C'était aussi l'époque où Mostaganem s'articulait autour de deux lands bien distincts selon que l'on était brun ou blond, riche ou pauvre, frisé ou cheveux platinés, hommes de peine ou négociants en vin. En fait, les deux communautés vivaient de part et d'autre des deux rives de Aïn Sefra. D'un côté, les Arabes entassés pèle mêle comme des sardines dans la Casbah au milieu des pierres séculaires ou contenus à Tigditt avec une fenêtre sur la Souikha, une longue cour des “biznassa” et des miracles et, d'un autre, les Européens qui étalaient avec insolence leurs villas au milieu des orangers et des citronniers. Attention, fragile pas touche… Même en matière de loisirs et de détente, chaque clan avait son propre territoire “rounda” pour les uns, aéroclub pour les autres, ou bal populaire. En été, chacun avait sa propre plage car il ne fallait surtout pas que les fez se mêlent aux bermudas. Les Arabes, coincés entre leurs bidonvilles et la fourmilière d'un port, n'avaient d'autre choix que de se rabattre sur la première crique à leur portée, c'est-à-dire Sid El-Mejdoub avec d'autant plus de plaisir que le saint patron de leur ville y avait élu sa dernière demeure. Les Européens, beaucoup moins regardant sur la longueur des cierges, jetteront leur dévolu sur la petite station balnéaire de la Salamandre, puis, plus tard, des Sablettes. Ils les arrangeront de telle sorte qu'il ne manquera pas un bouton de guêtre au sable et aux mouettes. L'argent des vignobles des Souafias fait évidemment des miracles. Bungalows sur pilotis à la vénitienne, casino, piano- bar, restaurant gourmand, les colons des Madjahers ne se priveront de rien. Quelques Arabes égarés mais fortunés tenteront bien de se faire admettre dans ces clubs privés, en vain. Les rushs des premiers estivants post- indépendance passeront comme un rouleau compresseur sur ces berges longtemps “interdites” pour en effacer tous les signes ostentatoires d'une aristocrate défunte. Sid El-Mejdoub sera bientôt délaissé ou presque, d'autant qu'il n'offrait pas les mêmes commodités à tout le monde. De la chaude cuvette de Mohamadia et de la plaine calcinée de Tighenif, fellahs et artisans viendront chaque année aux Sablettes planter leurs tentes et leurs parasols et de plus en plus chaque saison. Devant un tel flux de touristes, les pouvoirs publics essaieront de juguler les différentes vagues sub-sahéliennes qui inondent cette partie de la côte, mais peine perdue. On construira pourtant de nouveaux bungalows, des cafés, on y accolera des pizzerias, on badigeonnera ici, on ravalera là-bas, on retapera un peu partout et, malheureusement, le spectacle sera toujours le même : aucune esthétique, aucune recherche, aucun goût. La symétrie du béton et la rigueur des alignements ont tué la fraîcheur des vacances. MUSTAPHA MOHAMMEDI