“Il serait dommage que les Européens et plus particulièrement les Français, qui ont si mal négocié le virage de la décolonisation, manquent aussi celui de la démocratisation de notre pays.” A Paris où il a animé un meeting hier, le président du RCD a été reçu triomphalement par ses militants et sympathisants. Ils étaient, en effet, nombreux à envahir l'espace Reuilly dans le 12e arrondissement parisien pour se “ressourcer” dans cette période de doute et de désillusion nationale. Et Saïd Sadi connaît assez bien les ravages de la désillusion, lui qui sort d'une “galère” politique qui n'a pas manqué de marquer sa formation et ses structures. “C'est pour cela aussi que je suis venu à Paris, afin d'offrir une lisibilité politique à nos compatriotes et les aider à réfléchir sur les perspectives”, nous a-t-il déclaré avant de prononcer son discours. Un discours dans lequel il balise, d'emblée, les enjeux politiques que les Algériens devraient affronter. Et dans l'immédiat, il s'agit bien entendu de l'élection présidentielle de 2004 pour laquelle les hostilités ont déjà été ouvertes par le pouvoir dans ses différentes composantes. “Nous le savons tous hélas, l'Algérie est dans l'impasse. L'élection présidentielle de 2004 ne peut pas être une échéance ordinaire. Elle sera une occasion de rupture alternative ou un moment d'effondrement national irréversible”, dira, d'entrée, Saïd Sadi, comme pour mieux situer son intervention. Bien sûr, quand il parle d'effondrement national, c'est que le leader du RCD décèle déjà les signes plus que les prémices. Il évoquera entre autres la répression aveugle qui s'abat sur le mouvement citoyen en Kabylie, la tyrannie d'un ministre de l'Intérieur nostalgique à l'époque stalinienne, l'interdiction des manifestations publiques, la censure et la désinformation exercées par les médias du pouvoir, l'enlèvement et la torture subie par ses militants. Tout cela sous la conduite d'“un Président déjà omnipotent”. “Et si, en 2004, le citoyen devait être réduit à ne choisir qu'entre l'intégrisme et le conservatisme du régime, c'en sera fini de l'Algérie en tant que nation et société”, avertit-il encore tout en donnant un peu d'espoir à l'assistance : “Ce qu'il faudra suivre, dans les prochains mois, c'est l'évolution des contacts entre les démocrates républicains et leur capacité à encadrer les différents mouvements de jeunes qui rythmes la vie sociale et politique dans tout le pays”. Oubliées les traditionnelles querelles entre démocrates ? Pas sûr. Peut être que Saïd Sadi, qui ne parle pas ouvertement d'une initiative politique dans ce sens, préfère positiver, tant que le bilan de Bouteflika offre tous les atouts et justifie une probable alliance républicaine à venir. Revenant longuement sur l'histoire contemporaine du pays, Sadi rend un vibrant hommage à Abane Ramdane, “le père fondateur de l'Algérie contemporaine, ce Mandela de l'Afrique blanche”. Mais Abane Ramdane, c'est la plate-forme de La Soummam, le combat de la légitimité politique contre le despotisme et l'opportunisme des militaires. C'est aussi “la lutte pour la naissance d'un Etat algérien sous la forme d'une République démocratique et sociale et non la restauration d'une monarchie ou d'une théocratie”, dira Sadi en paraphrasant le martyr Abane. Revendiquant pleinement la plate-forme de La Soummam, sa valeur politique et historique, Saïd Sadi fustige, encore une fois, le pouvoir : “Au nom de quel combat les dirigeants algériens doivent-ils continuer à piller et humilier le pays, eux qui ont organisé un véritable embargo sur la plate-forme de La Soummam et qui ont perverti le message du 1er Novembre 1954 ?” Et aux Européens, les Français notamment, Sadi lance un appel à la compréhension. “Il serait dommage que les Européens et plus particulièrement les Français, qui ont si mal négocié le virage de la décolonisation, manquent aussi celui de la démocratisation de notre pays”, a-t-il dit. Décrypté, le message de Sadi aux Français leur rappelle que s'ils souhaitent voir émerger un jour une Algérie démocratique, ce ne sera pas en soutenant Bouteflika ou un autre candidat du régime. C'est que, ajoute-t-il, “nous ne pouvons plus admettre que les pipe-lines soient les seules lorgnettes à travers lesquelles on nous jauge et observe”. Et si pareil sera le cas, “l'Algérie a d'autres voix pour porter les aspirations de son peuple. L'argent dont Bouteflika a inondé ses relais ici (En France, ndlr) ne suffira plus à étouffer l'opposition et, au-delà, tous ceux, et ils sont nombreux, qui travaillent à l'avènement d'un changement politique, par ailleurs inévitable”. Un changement politique qui restituera à la plate-forme de La Soummam et au 1er Novembre 54 leur vocation, pour une “République démocratique et sociale”, souligne enfin le leader du RCD, avant de conclure: “Nous retrouverons le chemin de La Soummam”. Autant dire que la marche vers La Soummam a déjà commencé. H. B.