Les sobriquets de “BTS” et de ville-pouvoir n'ont aujourd'hui plus aucun sens au pays des Chaouis. Ce sentiment est frappant. Longtemps boudée, la dernière visite d'un chef d'Etat dans cette ville remonte à… 1984, Tébessa accueille, presque indifférente, le président de la République Abdelaziz Bouteflika, qui a choisi cette région martyre de la Révolution pour y présider les festivités commémoratives de la Journée du chahid. Indifférente, parce que cette wilaya frontalière a été jetée dans les rets du trafic en tout genre, jusqu'à ce qu'elle perde son âme et mérite incontestablement le “titre” non enviable de plaque tournante de la contrebande. Le président qui, par ce geste, souhaite, sans doute, réhabiliter cette ville aux mille symboles, aura l'occasion de prendre la mesure de la déliquescence des autorités et de la répression sociale. Ici, tout est commerce. Tout est affaire. La sensibilisation des citoyens pour bien accueillir le “raïs”, à coups d'appels lancés par mégaphone accroché au-dessus d'une ambulance qui sillonnait les artères de la ville, semblaient se perdre dans le brouhaha du marché et le bruit des véhicules. Ici, il serait hasardeux de parler de développement locale dans une ville où le bien-être social est nettement en deçà du sacrifice consenti par ses enfants durant la Révolution. Il se conjugue au futur. Peut-être. Tébessa est une ville en jachère. C'est peut-être un euphémisme pour rendre compte d'un état des lieux ahurissant. Le plan de relance économique lancé à grand renfort médiatique ne semble pas avoir fait escale ici. Assurément, Bouteflika aura du pain sur la planche. Mais au-delà des considérations socioéconomiques, cette visite est aussi attendue sur le terrain politique. La guerre contre l'Irak, la crise de Kabylie et la polémique déclenchée par les déclarations de Ahmed Ben Bella contre Abane Ramdane peuvent figurer parmi les dossiers sur lesquels le président devrait s'exprimer. Sur le plan économique, la visite de la mine de fer de Ouenza en compagnie des responsables de l'entreprise indienne Ispat, risque de donner lieu à des commentaires et à des coups de gueule auxquels il a habitué l'opinion. Ceci, d'autant plus que ces dernières visites de travail n'ont pas été riches en déclarations et en prises de position sur les brûlantes questions de l'actualité. Et tout semble préparé pour une ”sortie” tonitruante de Bouteflika puisqu'il devra prononcer aujourd'hui un discours dans la salle des congrès de la wilaya. Quelques indiscrétions de l'entourage du Président confient en effet que celui-ci abordera beaucoup de sujets sur lesquels il est attendu, notamment la position de l'Algérie par rapport à la guerre contre Saddam qualifiée, à juste titre, par les observateurs de “timide”, “pragmatique” et même d'“inconfortable”. C'est donc l'occasion pour lui de répondre aux questions de l'opinion publique nationale qui ne sait plus trop où donner de la tête. Bouteflika peut tout aussi bien aborder la question des faux moudjahidine qui a défrayé la chronique ces derniers temps et dont l'ampleur dépasse de loin les assurances données par le ministère de tutelle. Qui mieux que les maquisards des Aurès pour s'exprimer sur ce trafic éhonté de la mémoire nationale ! Et le contexte s'y prête à merveille pour une montée au créneau du président de la République, en ce sens que sa visite coïncide avec la célébration de la Journée du chahid. Un titre emblématique qui continue malheureusement d'être une marchandise qui s'achète et se vend au nez et à la barbe de nos responsables. Pour toutes ces raisons, le Président ne devrait pas, théoriquement, faire l'impasse sur une pratique qui souille dangereusement la mémoire collective. Est-ce donc une visite des mises au point ? Si les conditions d'un tel scénario sont parfaitement réunies, il reste que Abdelaziz Bouteflika est un homme imprévisible qui peut tout autant verser dans le travail, somme toute, protocolaire, fait d'inaugurations et de poses de pierres, histoire d'entretenir un suspense trop pesant. H. M.