À près de 61 ans, Abdelaziz Belkhadem est investi Chef du gouvernement. Paradoxalement, le président Bouteflika nomme un chef de l'Exécutif qui n'était pas candidat à la succession d'Ouyahia. La carrière de ce “lettré”, originaire d'Aflou, est à l'image des steppes de Laghouat : sèches et arides. Portrait en clair-obscur d'un homme politique qui n'inspire pas la tranquillité. Ironique. Alors que Recep tayyip Erdogan, le Premier ministre turc, tendance islamiste, quitte Alger, c'est un Chef du gouvernement algérien au profil analogue qui occupera la chefferie du gouvernement. L'antithèse idéologique d'Ouyahia à qui il a refusé de livrer une guerre ouverte se voit, presque contraint, d'accepter un poste auquel il n'aspirait pas. Une sorte de cadeau empoisonné qui contraste avec la jubilation des ténors du FLN qui avaient personnalisé le conflit avec leur frère ennemi du RND. Pour saisir l'énigme Belkhadem, il faut remonter à quelques balises de sa vie politique. En 2000, alors que Madeleine Albright, puissante secrétaire du département d'état américain débarque à Alger, en plein Ramadhan, pour parrainer les accords de paix entre l'Erythrée et l'Ethiopie, Belkhadem est ministre des Affaires étrangères. Il est 12h, lorsque Belkhadem reçoit un coup de fil de la Présidence lui indiquant qu'il fallait qu'un officiel “déjeune”, ou du moins assiste au déjeuner, avec l'émissaire de Bill Clinton au Palais des nations. Refus catégorique de Belkhadem qui se sent “insulté” par cette proposition en contradiction avec ses convictions religieuses. La raison d'état attendra. Et c'est Messahel, en bon sherpa qui s'y colle, assistant à un déjeuner bizarre. L'anecdote renseigne un peu sur l'homme. Intransigeant jusqu'à la lie. Lorsqu'il débarque en juillet 2000, à la tête du ministère des Affaires étrangères, il subit les railleries des diplomates du sérail qui le mettent en boîte, pronostiquant l'attitude du nouvel MAE dans les réceptions et les mondanités internationales quand il faut lever la coupe de champagne. Belkhadem, dont le tapis de prière n'est jamais loin dans ses bureaux, étonne ses assistantes femmes par sa souplesse, sa cordialité et son sens aigu du respect de ses collaboratrices. “Il était d'une correction exemplaire avec tout le monde. Jamais, il ne levait la voix”, indique-t-on à la maison de verre d'El-Mouradia. Sans qu'il soit diplomate de carrière, Belkhadem connaît néanmoins la boîte et de près. Son passage de 1972-1977 en tant que directeur adjoint des relations internationales à la présidence de la République, à l'époque où Bouteflika était ministre des Affaires étrangères, avait établi le premier contact entre le dauphin de Boumediene et cet ancien inspecteur des finances que la Présidence est partie débaucher de l'université où il était professeur. Sur cet épisode charnière de sa vie, l'ombre plane. Belkhadem, commis de l'état taciturne et rigide, apprend auprès des “Malgaches”, qui écument la Présidence, la noblesse du secret et une certaine conception de l'état. On dit qu'il a été pris sous l'aile protectrice de Slimane Hoffman, celui qui organisa les “réseaux africains” de Boumediene en pleine campagne d'assistance aux mouvements de libération africains. Hoffman s'est entouré d'une jeune garde dont Belkhadem faisait partie même s'il ne s'était pas particulièrement fait remarquer. S'ouvre alors l'épisode “politique”. Belkhadem quitte l'administration pour se lancer dans le bain de la députation. Sans risque du moment que le FLN, parti unique, désignait les élus. C'est à Sougueur qu'il fait l'apprentissage de la politique, entrecoupé par des passages à l'APN à Alger, où il apprend les rouages de l'Assemblée et les coulisses de la politique. En 1988, il est bombardé vice-président de l'APN après avoir aiguisé ses crocs dans la commission parlementaire des finances et de l'éducation. Dauphin de Rabah Bitat, le monstre sacré, il devient le pendant idéal d'un FLN qui s'ouvre sur le courant islamiste et le conservatisme, à l'heure où le FIS conteste le FLN, et que Chadli Bendjedid glisse dangereusement vers une cohabitation avec les partisans d'Abassi Madani. En 1990, il devient le président d'une APN en pleine ébullition après la démission de Bitat pour protester contre la politique libérale de Hamrouche. Belkhadem apparaît dans sa gestion fine d'équilibres explosifs entre divers courants du FLN. L'ombre de Larbi Belkheir n'est pas loin. On dit qu'il “veille sur lui” et aurait suggéré à un Chadli chancelant cette “ouverture” vers le FIS pour calmer les tensions. Paradoxalement, les islamistes ne le reconnaissent pas comme “un des leurs”. Ils flairent la manœuvre tactique du cabinet présidentiel et demandent la dissolution anticipée de l'Assemblée. Dans cette tactique, Belkhadem joue un rôle à contre-sens de ses propres aspirations, toujours sans ambition et dans la discipline. La rupture de janvier 1992 allait précipiter son sort. Le voilà dans le clan d'Abdelhamid Mehri dont il appris le sens de la modération. Une partie du FLN “hamrouchien” flirte avec un FIS qui va se casser les dents sur l'armée. Plus question de passerelles avec les islamistes. Elu au bureau politique du FLN en 1991, il le restera jusqu'à 1997. Dans la discrétion, une sorte de traversée du désert, que seuls deux évènements troublants sont venus perturber. D'abord, l'épisode iranien. En 1992, Belkhadem fréquente l'ambassade d'Iran à Alger et un conseiller des mollahs, du nom de Saïd Nouami, attaché culturel de son état, qui transgresse les règles diplomatiques. On apprendra que les Iraniens avaient tenté de prendre langue avec le GIA de Chérif Gousmi alias “le Chiite” et Djamel Zitouni, tous deux ayant fait un “pèlerinage” dans la ville sainte de Qom en Iran. Même si des journaux ont accusé Belkhadem de “connivence” avec les Iraniens, avant la rupture des relations diplomatiques avec Téhéran, personne ne sait exactement ce qui s'est passé. Belkhadem a-t-il manipulé les Iraniens ou est-ce l'inverse ? Sur ce point, celui qu'on surnommera le “Barbéfélene”, sobriquet tiré du courant FLN qui a voté le code de la famille en 1984, ne dira jamais un mot. L'autre épisode est le contrat romain de Sant' Egidio. Convaincu de “l'option politique” avec le FIS, il soutient l'initiative mais sans aller à Rome puisque, c'est Mehri qui s'affichera comme signataire d'un pacte rejeté par Alger. Belkhadem est labellisé “romain”, “réconciliateur” et “pro-islamiste”. Des casseroles qu'ils traînent jusqu'à aujourd'hui. Mais sa carrière allait connaître une accélération avec la venue du président Bouteflika en 1999. Lors du congrès du FLN en 1998, Belkhadem voit son “courant” laminé par les partisans de Hadjar qui lui interdit de rentrer en plénière. Belkhadem encaisse, comme toujours, et ne fait pas de vagues. Il sait que le temps joue pour lui jusqu'à cette fameuse journée du 26 août 1999, lorsque Benbitour jette l'éponge. Bouteflika dégaine son nom. Un peu trop vite. Convoqué pour pallier l'absence de candidat au poste de chef du gouvernement, Belkhadem présente la garantie d'être en phase avec la politique du nouveau président dont le credo est “réconciliation nationale”. Comme en 1991, où il faisait la navette entre le pouvoir et le FIS, Belkhadem, dont la réputation pieuse séduit les islamistes, semble à deux doigts d'être nommé. On évoque alors le veto des généraux. Belkhadem est trop marqué “islamiste” aux yeux de l'opinion, alors que la guerre contre le terrorisme est gagnée. L'amalgame le poursuivra. Bouteflika ne l'oublie pas pour autant et en fait son MAE. Poste qu'il n'accorde qu'aux “intimes” comme ce fut le cas avec Bedjaoui. Trop sensible à ce qu'on fait des relations extérieures algériennes, le président trouve en Belkhadem un “relais” efficace, sérieux et pragmatique même s'il est trop effacé pour certains. La loyauté de Belkhadem sera un atout dans leurs relations. Bouteflika en fait l'interlocuteur privilégié des Arabes (la Ligue arabe), des musulmans (OCI) et des états islamiques (Pakistan, Arabie saoudite, Soudan et Iran). Avec succès. 2004 allait signer le retour à la cuisine interne. Celle d'un mouvement de redressement dont il devient le leader pour récupérer le FLN tombé aux mains de l'ambitieux Benflis. Bouteflika compte ses amis et les soutiens au sein d'un parti déchiré par les querelles personnelles. Belkhadem roule pour le président, mène campagne à la tête des redresseurs dont Si Affif, Hadjar et Amar Tou et s'attire un tir de barrage. La réélection obtenue, il sera chargé de mettre à plat les dissensions au sein du FLN à travers le 8e congrès bis, organisé dans des conditions épouvantables. Il est élu à 11 heures du soir, après avoir menacé de “se retirer” de cette foire d'empoigne. Et il aura fallu que l'ancien chef de cabinet, Larbi Belkheir, le convainque de rester. Il en sortira fatigué, même usé, et confie à ses proches : “Je veux juste rester un militant, exprimer des positions car être chef de parti oblige à un jeu d'équilibriste permanent.” On dit que le président lui avait forcé la main pour “contrôler” le FLN dont il ne se résout pas à couper les têtes qui dépassent, notamment les anciens proches de Benflis : “stratégie suicidaire.” Lui prend a contre-courant les critiques internes, retrouve la langue de bois et se consacre à des chantiers comme la révision constitutionnelle, les élections législatives de 2007 et agit comme le chef de la garde prétorienne d'un Président hospitalisé à Paris. Belkhadem communique, donne des nouvelles de la santé du président, obligeant les autres à suivre la cadence. Il entre dans le “cercle fermé” de la confiance présidentielle. Jusqu'à hier, Belkhadem ne se voyait pas chef du gouvernement. Son objectif est d'être hégémonique à l'APN et à l'exécutif et proclame que “le FLN n'a pas pour habitude d'entrer dans une bataille qu'il ne gagne pas”. Bouteflika le fait entrer au palais du gouvernement, obligeant le SG du FLN à trouver une parade à son leitmotiv de ces dernières semaines, comme quoi on ne peut être chef du gouvernement et organiser des élections dans lesquelles son propre parti est impliqué. Belkhadem a accepté la nomination avec “fierté”, mais se retrouve ainsi sous les projecteurs de la gestion dans laquelle a excellé son prédécesseur et pour laquelle il n'était pas très chaud. Et déjà, les observateurs ne savent pas quoi penser d'une nomination poivre et sel, aux couleurs de la barbe du nouveau locataire du gouvernement. Mounir B.