Comme en 1991, entre les deux tours, des syndicalistes se disent appelés par le devoir de la nation à faire de la politique pour sauver ce qui reste du pays et de la dignité de ses travailleurs. Le ton de la révolte des cols-bleus monte chaque jour d'un cran. Après les travailleurs de l'enseignement, ceux des ports ont observé une grève massivement suivie. Les éléments du corps constitué qu'est la douane ont débrayé, hier, après l'action de protestation entamée la veille et, pour la première fois dans l'histoire du pays, par leurs collègues de la Protection civile. A Constantine, jamais, depuis décembre 1991, la Maison du syndicat de la ville n'a connu une effervescence comme celle qui y règne depuis quelques jours. Les responsables locaux de la Centrale “font la revue et inspectent leurs troupes” quotidiennement, en prévision du 25 février prochain, date du déclenchement de la grève générale de deux jours. Pour Abdelhak Mehdi, patron de l'Union de la wilaya de Constantine, “c'est une occasion pour exprimer, une fois pour toute, la position de l'UGTA sur les questions d'actualité, tant nationales que locales, telles que les privatisations, l'avenir de Sonatrach, le dossier de la Fonction publique et le recours à la main-d'œuvre étrangère”. Il dira : “L'essentiel de ces revendications a été soulevé au gouvernement le 24 février 2002 et à ce jour, aucune des promesses n'a été respectée. Pis, la situation s'est, depuis, davantage détériorée.” Concernant les privatisations, les syndicalistes du Vieux Rocher se disent contre aussi bien la philosophie que la méthodologie adoptées par le pouvoir. Ils doutent de l'existence chez les dirigeants du pays d'une vision globale et homogène sur le dossier. Eux, et comme pour couper l'herbe sous les pieds de ceux qui ont pris l'habitude d'intimider la société civile, chaque fois qu'elle s'oppose aux maîtres du moment et qu'elle fait de la politique, se disent pour les réformes, mais contre les privatisations qui ne s'inspirent pas d'une politique globale et consensuelle. On privatise pour atteindre des objectifs clairs, quantifiés et hiérarchisés dans le temps, clament-ils. Ils citent l'exemple des filialisations qui sont menées comme une mode et non comme un besoin de redéploiement exigé par des conditions économiques universellement connues. Ils donnent aussi l'exemple des entreprises en liquidation et des liquidateurs qui mettent plus de temps dans la “réalisation des actifs et passifs des entreprises” que leur durée de vie antérieure, vendant des actifs pour se payer des honoraires et non pour payer les créanciers, dont les salariés. Le dossier de Sonatrach revient avec redondance dans les discussions des cols-bleus. Ils lancent un défi au ministre de l'Energie en lui répliquant : “C'est vrai que le sort de Sonatrach n'est pas du ressort exclusif de l'UGTA et un référendum est tout indiqué pour connaître l'avis de tout le peuple sur une question aussi déterminante.” Le dossier de la Fonction publique est, selon les syndicalistes de Constantine, la cause de l'échec de la bipartite. Mieux, les dernières mesures “instaurant le chantage par les primes” ont causé plus de mal que de bien dans le monde du travail. A l'occasion, le SNMG à 12 000 dinars est une revendication qui s'inscrit dans le cadre d'un droit, celui de partager une rente qui doit profiter à tout le peuple et non à une certaine catégorie seulement de cadres. Les 24 et 25 février prochains, les Constantinois, en débrayant, auront en mémoire le cas de ces entreprises étrangères opérant dans les chantiers de la nouvelle-ville et employant une main-d'œuvre étrangère non qualifiée, sous payée et dont le maigre salaire n'est pas soumis aux charges fiscales et parafiscales, ce qui revient à faire de la concurrence déloyale à la main-d'œuvre nationale. Selon un jeune cadre syndical, “dans les moments difficiles, l'UGTA a fait de la politique. On l'a fait en 91 avec feu Abdelhak Benhamouda quand l'Algérie était menacée. Aujourd'hui, elle l'est aussi avec l'avenir devenu précaire des travailleurs et chômeurs de ce pays. Oui, nous faisons de la politique qui sauve notre gagne-pain et le pays”. Avant de conclure : “Oui, on est manipulé, mais par les travailleurs, et ces derniers demandent plus que la grève, la descente dans la rue !” M. K.