La Centrale syndicale n'écarte pas de radicaliser son mouvement de protestation. “Au cas où nos revendications ne sont pas satisfaites, le secrétariat national avisera des méthodes à enclencher. S'il faut radicaliser le mouvement, nous le ferons”. Fort de la réussite de la grève générale qui a, durant deux jours — 25 et 26 février —, paralysé le pays, le patron de la Centrale syndicale n'en démord pas. Il exige des engagements précis du gouvernement. En dressant, hier, lors d'un point de presse tenu à la Maison du peuple, le bilan très reluisant de l'action qu'il a initiée, Sidi Saïd faisait ainsi valoir sa force et son autorité en tant qu'interlocuteur incontournable. “Notre organisation n'a plus à prouver sa représentativité”, s'est-il enorgueilli en révélant un taux de suivi record à hauteur de 92,88% sur un ensemble de 5 millions de travailleurs actifs. Dans la déclaration qui a consacré la réunion du secrétariat national dans la matinée, ce sentiment de puissance est clairement affiché pour signifier aux pouvoirs publics que l'UGTA pèse réellement dans la balance. “Le secrétariat national exprime sa pleine satisfaction quant à l'adhésion franche, claire et massive des travailleurs et des travailleuses, considère qu'ils ont, à travers leur forte mobilisation, le respect des consignes, démontré leur responsabilité, leur discipline et leur attachement aux valeurs de l'UGTA (…), il estime qu'ils sont en droit, aujourd'hui, d'attendre des engagements précis de la part du gouvernement (…). Le secrétariat national prend acte de la déclaration du Chef du gouvernement relative à la grève. Il considère, néanmoins, qu'il s'agit là d'une déclaration d'intention qu'il faudra traduire par des actions concrètes sur le terrain…”, stipule, entre autres, la direction de la Centrale syndicale. Pour maintenir la pression, elle déclenche l'alerte maximale et se dit prête à entrer en action à tout moment. “Le secrétariat national se déclare en session ouverte afin d'examiner l'évolution de la situation et prendre les décisions qui s'imposent au moment opportun dans l'intérêt exclusif des travailleurs”, conclut la déclaration. Entouré de tout le staff dirigeant, Sidi Saïd s'est à maintes fois fait l'écho de cette détermination lors de sa rencontre avec les journalistes. Ira-t-il jusqu'au bout de sa démarche ? Interpellé pour savoir si le mouvement contestataire n'est pas, en fait, conjoncturel, dicté par les enjeux de la prochaine présidentielle, le secrétaire général de l'UGTA s'est défendu de vouloir entraîner les travailleurs dans la course à El-Mouradia. “Cette grève est purement syndicale. Les travailleurs y ont adhéré parce qu'ils se sont retrouvés dans le mot d'ordre du 17 février. Vous dites que c'est une grève politique. Moi, je fais de la politique syndicale”, a-t-il affirmé. Excédé, il ne comprend pas qu'on le traite de “vendu” quand il ne se montre pas offensif et d'opportuniste lorsqu'il déterre la hache de guerre. “Pourquoi je fais la grève maintenant ? Tout le monde se pose des questions. Celle-ci est la quatrième en quarante ans. Elle a été précédée de plusieurs grèves sectorielles qui ont exprimé le ras-le-bol des travailleurs. On veut brader leur outil de travail. Psychologiquement, cette politique a déjà des effets. A la SNVI, les travailleurs que j'ai vus sont désespérés”, s'est élevé le premier responsable de l'UGTA. Evoquant les réformes, il a souligné leur précarité. “Y a-t-il eu une promotion de l'investissement en direction des entreprises publiques et privées ? En dix ans, on est passé des fonds de participation aux holdings puis aux SGP. Maintenant, on veut tout vendre”, s'est-il écrié. Fustigeant le principal concerné, le ministre de la Participation et de la Promotion de l'investissement, Hamid Temmar, il dénonce sa duplicité ; d'un côté jurant de ne rien faire contre l'intérêt des travailleurs et de l'autre, il s'empresse à liquider le secteur public. Preuves à l'appui, Sidi Saïd a mis en lumière les velléités de privatisation de 40 EPE. Une correspondance en date du 25 février a été envoyée par le président du directoire de la SGP Tragral au président de Giplait pour la désignation de bureaux d'études d'évaluation. Il a, par ailleurs, condamné un sombre projet similaire concernant trois cimenteries et la Cnan. “Une bipartite spéciale affaires économiques était normalement prévue pour le second trimestre 2003. Un comité préparatoire a même été mis en place. Badredine — secrétaire général de la Fédération des pétroliers — devait rester en contact avec le ministre de la Participation. Or, depuis, aucun retour d'écoute”, s'est indigné le SG de l'UGTA. Dénonçant “une totale confusion” dans les rôles au sein du gouvernement, l'absence de moralité, des tentatives d'exclusion du partenaire social…, l'animateur de la conférence de presse a eu cette confession amusée : “Ils nous mènent en bateau (les pouvoirs publics Ndlr)”. Toutefois, bien que le gouvernement soit désigné du doigt, son chef s'en sort à bon compte. “C'est un homme de dialogue. C'est une réalité. Mais à l'intérieur de l'exécutif, il y a plusieurs dialogues”, des discours contradictoires que prônent les ministres, deux exactement. Il y a d'abord Temmar qui voudrait brader tout le secteur public et qui mériterait, selon lui, de se faire tirer les oreilles, et Chakib Khelil, ministre de l'Energie, chargé du sort de Sonatrach. Le patron de la Centrale syndicale souhaiterait-il leur départ ? “Ce ne sont pas des prérogatives de l'UGTA, c'est au gouvernement de tirer des leçons. Nous attendons des actes concrets”, a-t-il conclu. S. L. Le Président dans le collimateur Brandissant le programme présidentiel que son organisation avait cautionné en 1999, le secrétaire général de l'UGTA s'est écrié : “Nous avons soutenu ce programme. Nous l'assumons. Nous, nous ne sommes pas des traîtres. Au départ, il constituait une révision du secteur économique. Dans son exécution, il est à côté, dévoyé. Nous le récusons”. Ouvertement, Sidi Saïd s'attaque à Bouteflika en l'accusant d'avoir trahi l'UGTA. “Il n'y a pas de problème d'hommes mais une absence de volonté, de stratégie et d'amour pour le pays et pour son peuple”, a-t-il dénoncé. Cru dans son propos, le patron de la Centrale syndicale fustigera avec la même violence les ministres du Président, ses hommes de confiance. Evoquant Orascom dont le scandale des télécoms a compromis le chef de l'Etat, l'orateur a indiqué que Temmar et Khellil voulaient offrir à ce groupe la cimenterie de M'sila sur un plateau d'argent alors qu'ils ont tout fait pour bloquer un homme d'affaires algérien porteur d'un investissement similaire. A propos du ministre de l'Energie qui aurait relevé les répercussions de la grève dans l'acheminement des hydrocarbures outre mer, il n'a pas mâché ses mots. “Il veut nous culpabiliser. Mayesouach (il ne vaut rien). C'est un ministre off-shore”. Alors contestation purement syndicale ou campagne politique contre le président candidat à sa propre succession ? Même si Sidi Saïd récuse fortement cette thèse, tout porte à le croire. Lui-même dit que l'UGTA “aura son mot à dire lors de la prochaine présidentielle et choisira le programme qui lui sied”. Une chose est sûre, ce ne sera pas celui de Bouteflika. Difficile retour à la normale Outre les pouvoirs publics, le patron de la centrale syndicale a affirmé la reprise du travail dès le 27 février avec une célérité exemplaire et sans encombres. “Je me suis déplacé, mes collaborateurs également, dans les stations-service pour nous assurer qu'elles étaient approvisionnées”, a-t-il indiqué. Or, force est de constater que la situation, la vraie, n'était guère réjouissante ce week-end. De nombreuses pompes à essence, à l'instar de celle du Caroubier, ont connu des files interminables dans la nuit de mercredi jusqu'à l'aube. Dans les aéroports, en dépit des vols de rattrapage programmés par les compagnies aériennes, le constat n'était guère mieux. C'est très lentement que le trafic aérien a repris, si bien que beaucoup de passagers sont restés parqués dans les aérogares pendant de très longues heures. S. L.