Interprétées par les organisations des droits de l'homme comme un aveu que les Etats-Unis ont déjà eu recours, ou comptent recourir à la torture, les déclarations de Dick Cheney approuvant ces pratiques ont mis dans la gêne l'Administration Bush, incapable d'expliquer les propos de son numéro deux. à la question du journaliste d'une radio de Fargo (Dakota du Nord) qui voulait savoir si “plonger quelqu'un dans l'eau (allait) de soi si cela (pouvait) sauver des vies”, l'adjoint de George Bush a spontanément répondu : “Cela va de soi pour moi.” Cette réplique a provoqué des réactions en chaîne chez d'éminentes organisations de défense des droits de l'homme. Elles estiment qu'il s'agit de la première reconnaissance claire que l'Administration Bush est prête à recourir ou a déjà recouru à une des pratiques qu'elles assimilent à la torture : l'immersion des prisonniers jusqu'à leur donner la sensation de la noyade pour leur extirper des informations. Prié par les journalistes de dire s'il était d'accord avec son numéro deux, le président américain s'est contenté de répondre : “Ce pays ne pratique pas la torture, nous ne pratiquerons pas la torture.” Il a indiqué que les Etats-Unis poursuivraient le programme d'interrogatoire au secret, couvert entre-temps par une loi opportunément promulguée peu avant les élections parlementaires du 7 novembre prochain. En revanche, le porte-parole de la Maison-Blanche s'est attelé à tout nier en bloc. Tony Snow a affirmé que le vice-président n'a jamais utilisé les mots “technique de l'immersion”. Selon lui, à l'instar de l'Administration, “le vice-président ne parle jamais des techniques d'interrogatoire, ni dans la théorie ni dans la pratique”. Il a assuré que la question était formulée en termes vagues. “Alors, c'est quoi "plonger dans l'eau" selon le président”, ont demandé les journalistes. “C'est plonger dans l'eau. C'est plonger dans l'eau, comme je l'ai déjà dit”, a répondu M. Snow. “Donc les prisonniers sortent nager ?” ont rétorqué les hommes de la presse. “Je ne sais pas. On va essayer de savoir”, a dit M. Snow. Cet échange de paroles montre le degré d'embarras dans le lequel se trouve l'Administration Bush après les propos de Dick Cheney. Pour Larry Cox, dirigeant d'Amnesty International pour les Etats-Unis, “cette administration entend rompre radicalement avec la tradition de défense des droits de l'homme qui fait la fierté de ce pays”. Human Rights Watch, autre grande organisation de défense des droits de l'homme, s'est indignée elle aussi. Quant à John Kerry, le candidat malheureux de la dernière élection présidentielle, il a déclaré : “Cette administration n'a pas plus de politique claire sur la torture que sur l'Irak ; un jour, le président Bush invite à la comparaison avec le Vietnam ; le lendemain, le vice-président Cheney dit que tout va remarquablement bien en Irak, et la guerre civile s'intensifie de jour en jour.” Enfin, pour information, la technique de l'immersion fait partie de l'une de celles que la CIA est supposée avoir employée contre des suspects de terrorisme dans des prisons secrètes à l'étranger. La révélation de l'existence de ce programme de détention et d'interrogatoire en septembre a ravivé la profonde querelle sur la légitimité des moyens employés par l'Administration depuis les attentats du 11 septembre pour combattre le terrorisme. K. ABDELKAMEL