Ce médecin remarque l'engouement pour la roqia suscité par le regain de l'islamisme “La roqia n'a pas de vertus. C'est de l'escroquerie !” Ce cri de colère est celui du docteur Abbès Dziri, psychiatre et maître assistant à l'hôpital psychiatrique de Tizi Ouzou. Comme ses collègues, il se voit régulièrement voler des patients qui, même en ayant progressé dans le processus de guérison, pensent trouver le remède miracle dans la roqia. Beaucoup de malades se rabattent sur les guérisseurs et sacrifient quelquefois le fruit de plusieurs années de soins. Les issues peuvent être dramatiques quand les patients, à la demande des talebs, arrêtent la prise de leurs médicaments. “Ils sont mis en danger”, avertit le Dr Dziri. Selon lui, le recours à “la médecine parallèle” a une seule explication : “Les gens ont la hantise du psychiatre. Celui-ci est diabolisé car son évocation est synonyme de folie.” Ces dernières années, l'affluence des consultations de roqia a augmenté sensiblement. “C'est lié au regain de l'islamisme”, indique le psychiatre. Dans un autre registre, il fait remarquer que le recours à la roqia n'est pas l'apanage des personnes incultes. Même les intellectuels font appel à ce genre de médication. Le médecin relate le cas d'un schizophrène d'une trentaine d'années que ses parents ont conduit chez un raqi. Pour le docte, il n'y avait pas de doute, le patient est ensorcelé. Des séances de désenvoûtement lui ont été prescrites. Mais sans résultat. Ne voyant pas les choses s'améliorer, la famille a dû se rendre à l'évidence que son fils n'était pas possédé par le diable mais souffrait de troubles psychiatriques graves. “Aujourd'hui, il va mieux et a même repris son activité commerciale alors que pendant deux années, il refusait de sortir de la maison”, confie le psy. À ses yeux, la lecture du Coran peut faire du bien aux personnes anxieuses. “Mais, c'est momentané”. En outre, il faut que le prescripteur soit d'une foi et d'un comportement exemplaires. “Une femme est arrivée dans ma consultation en état de dépression. Ayant fait un cauchemar, elle a consulté un taleb. Il l'a affolé en faisant une interprétation apocalyptique de son rêve. Je ne sais pas si ces gens-là ont conscience des dégâts qu'ils occasionnent”, s'indigne le Dr Dziri. Riche en exemples, il raconte aussi l'histoire de cette autre femme qui, en apprenant le remariage de son conjoint, a eu une crise de nerfs. Ses frères ont alors appelé un imam qui lui a administré une roqia assortie de falaqa (flagellation). “Quand elle a atterri aux urgences psychiatriques, elle avait des bleus sur tout le corps”, décrit le praticien. Dans son esprit, la roqia n'a rien à voir avec la religion et la médecine. “Le seul intérêt de ceux qui la pratiquent est l'argent”, note-t-il. Cependant, plus qu'une affaire d'escroquerie, elle relève d'une atteinte grave à la santé publique. “Les pouvoirs publics doivent intervenir”, réclame Dr Dziri. S. L.